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Le dialogue politique occupe actuellement une place importante dans le débat public au Sénégal. Ce qui devait être une normalité dans une démocratie mature comme la nôtre devient objet de polémiques. On aime réinventer la poudre, cela nous passionne !
Le dialogue n’est pas une invention moderne. À travers l’histoire et dans la plupart des sociétés, le fait de rassembler des personnes pour les aider à surmonter leurs différences et à résoudre leurs problèmes a toujours été une mission prestigieuse, généralement confiée à des individus expérimentés, à des anciens ou à des personnes respectées pour la qualité de leur jugement et leur sagesse. Certains éléments de « méthodologie du dialogue » ont été et sont encore employés dans les sociétés traditionnelles en s’appuyant sur des procédures et des coutumes ancestrales (par exemple, les jirgas, les shuras et les conseils de village). Leur validité est d’ailleurs reconnue dans les processus de justice de transition, de gestion des conflits et de réconciliation (IDEA international, 2008b)[1].
Quand le Président de la République a lancé son appel de dialogue de Bujumbura sur la question des réformes institutionnelles, les circonstances ont poussé les « Nonistes » à rejeter en bloc l’idée de dialogue avec le Président de la République. Cela découlait d’une approche tactique de ceux-ci qui pensaient que le non pourrait l’emporter et étaient dans une logique de rapport de force amorcé pour demander le départ du Président si le “Non” l’avait emporté. Cette attitude, nous l’avions trouvée irresponsable et nous l’avions dénoncée en son temps dans une tribune libre où nous ne fûmes pas tendres avec notre opposition. Ce qui avait « choqué » bon nombre d’observateurs. Car chez nous on ne critique pas l’opposition, c’est un blasphème ! Au risque de passer pour un bras armé du camp du pouvoir. Nous l’avons appris à nos dépens. C’est ce que nous nommons la calinothérapie sénégalaise pour son opposition. On dirait que l’opinion, la société civile et la presse culpabilisent d’avoir laissé le corps électoral envoyé l’opposition et ses leaders hors des fastes du pouvoir. Et pourtant le jeu démocratique impose cette configuration qui, par ailleurs, est très saine. Nous rappelons ici qu’il est tout autant normal dans une démocratie de critiquer le pouvoir quand c’est opportun que de le faire avec l’opposition de son pays. Câliner l’opposition sur la seule base qu’elle ne dirige pas le pays et qu’elle serait orpheline du pouvoir est rendre un mauvais service à celle-ci. Au contraire, c’est dans l’opposition que les projets les plus ambitieux ont pu naître pour les voir par la suite appliqués dans les politiques publiques et sauver bien des pays à des moments cruciaux. C’est l’une des vertus de l’alternance démocratique. Notre critique faite à ce moment était basée sur des principes, que nous rappelons ici. Notre opposition nous avait déçus dans cette posture de « délégitimation » de nos institutions. Nous disions que dans une démocratie mature, les opposants doivent répondre à l’appel du pouvoir. Ce n’est pas une demande c’est une “obligation”. Les partis qui ont été des partis de gouvernement comme le PDS (Parti Démocratique Sénégalais) peuvent bien le comprendre. Nous avons hérité d’un pays où le dialogue et la compétition politique ont réglé toutes les crises majeures et nous restons une exception en Afrique par l’absence de guerre civile et de conflits ethniques majeurs qui auraient rendu le pays “ingouvernable”. Nous avons l’obligation de sauvegarder cet acquis.
Aujourd’hui qu’il n’y a plus de calcul politicien immédiat, tous ceux qui avaient rejeté de façon catégorique et péremptoire l’idée même d’un dialogue se sont ravisés et vont même plus loin en faisant des propositions pour théoriser ce que le dialogue politique devrait être. Faudrait-il s’en réjouir ?
C’est Idrissa Seck, ancien Premier Ministre qui disait après l’appel de Bujumbura :«Ce que je veux, c’est que Macky quitte la tête de mon pays» toujours et encore dans la fameuse « idéologie majoritaire des opposants » du ” Ôtes toi de là que je m’y mette ! “. Cette fois Mr Seck essaie de faire mieux en proposant un Conseil Supérieur de la République. Les bras m’en sont tombés à la découverte de cette proposition. Une proposition qui fait un déni de légitimité à l’institution que représente le Président de la République comme nous avons voulu l’instituer. Idrissa Seck a fait un déni de démocratie, on aurait dit que la fonction de Président de la République a été usurpée en 2012 sans que son contenu ait été tracé et que les contours de la fonction qui prend pourtant en charge toutes les craintes formulées par Mr Seck dans sa proposition aient été définis. Cette proposition, dans sa conception, est non seulement dangereuse pour la nature de notre République, mais aurait peut-être plus eu sa place dans le débat de la réforme des institutions qui a duré trois bonnes années sans qu’une seule fois que Mr Seck ne porte à notre connaissance une seule proposition digne de débat. Nous nous en désolons. Nous saluons, par ailleurs, la main tendue d’une large partie de l’opposition qui serait prête à dialoguer avec la majorité afin de renouer le dialogue dans notre pays.
Si nous revenons au sérieux et à l’orthodoxie de ce que sont les institutions de notre République, on se rend vite compte que le dialogue dans son contenu et son agenda doit être dirigé par le Président de la République. Nous avons toujours invité le Président Macky Sall, à nouer un dialogue avec toutes les parties de la Nation et en premier avec son opposition la plus significative, sur des sujets d’intérêts nationaux qui engagent le Sénégal sur sa cohésion sociale, sa défense, sa sécurité ou sa recherche de consensus électoral. L’opposition étant tenu d’y répondre avec responsabilité car étant le jardin des espoirs qui pourraient être déçus chez certains de nos compatriotes quel que soit le régime en place. Cette opposition par ces échanges que nous souhaitons plus fréquents devrait faire l’effort de se rapprocher de la notion de responsabilité pour apprécier les enjeux en termes de responsabilité politique et gouvernemental plutôt de ce qu’elle nous a habitué par des postures pavloviennes anti-majorité. Surtout sur les sujets de politique étrangère on attendrait d’elle plus de clairvoyance et de solidarité sur ce domaine régalien.
Nous prônons un dialogue politique constant franc et soutenu dans notre pays et ceci à tous les niveaux tant avec les acteurs politiques qu’avec les corps intermédiaires du dialogue social dans la recherche d’une solidarité sociale durable et d’un pacte de stabilité social solide. Ceux du pouvoir qui pensent que le seul espace du débat parlementaire suffirait pour dire qu’il y a un dialogue politique dans notre pays se trompent. Ils doivent être plus ambitieux et plus volontaires à aider à apaiser le climat politique et social en élargissant les acteurs et les lieux de ce dialogue. Le débat parlementaire est un acquis institutionnel lié aux fonctionnements de nos institutions comme nous les avons voulues. Mais le dialogue politique est signe de maturité et de dépassement des leaders politiques qui doit être suscité par le chef de l’Etat. Ce dialogue est nécessaire à la stabilité du pays et au rayonnement du Sénégal. Le chef de l’Etat en a la responsabilité et la société civile sera toujours là pour encourager et rendre possible ce dialogue qui est à institutionnaliser.
Mohamed LY
Président Think Tank IPODE