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Code des marchés publics au Sénégal : Analyse comparative des réformes et recommandations

Par Moha

I – INTRODUCTION

La réforme du système national de passation des marchés publics du Sénégal est un long processus qui a connu plusieurs améliorations, dans une approche participative et inclusive, qui a fait souvent appel à l’ensemble des parties prenantes de la commande publique.

Au début, la passation des marchés publics était régie au Sénégal par le Décret  n°82-690du 07 septembre 1982.

Par la suite, trente-deux (32) ans après,  le décret n° 2011-1048 du 27 juillet 2011 a été pris pour d’une part, alléger les procédures en vigueur, et d’autre part, pour rendre plus efficace la commande publique.

Le décret n° 2012-01 du 02 Janvier 2012 est ensuite intervenu pour modifier l’article 3 du Code précédent.

Aujourd’hui, dans un contexte caractérisé davantage par la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption et la reddition des comptes, et dans la logique du principe de l’amélioration continue, les procédures nationales en matière de passation des marchés ont été encore une fois revisitées et renforcées à travers le décret n° 2014-1212 du 22 Septembre 2014.

Ainsi, on constate que les réformes sont nombreuses dans le domaine de la commande publique et cela s’explique aisément dans la mesure où l’essentiel des dépenses de nos deniers publics (plus de 90%)  s’exécute à travers la passation de marchés de biens et de services.

En 2007, la commande publique était estimée à 500 milliards de FCFA par an ; en 2016 ce montant annuel est passé à 2000 milliards de FCFA.

Aussi, faut-il souligner que la passation des marchés, loin d’être « un empêcheur de tourner en rond » au sein de nos institutions publiques, comme on le conçoit généralement dans les milieux professionnels, est en réalité un outil de développement car source de richesse pour nos entreprises locales, mais aussi un moyen de faire des économies par le jeu de la concurrence ouverte, mais surtout un moyen efficace de satisfaire les besoins de nos populations, ultimes bénéficiaires.

II- LES  CHANGEMENTS MAJEURS  APPORTES  PAR LE  CODE DES MARCHES  DE  2014

La persistance des lourdeurs malgré les réformes précédentes, la faiblesse du taux d’absorption des ressources financières, ainsi que le souci d’une responsabilisation plus importante dans la mise en œuvre des projets structurants, sont les facteurs essentiels qui ont guidé aux changements majeurs qui sont essentiellement les suivants :

LE RELEVEMENT DES DIFFERENTS SEUILS

Le relèvement des seuils de passation des marchés

  • Les seuils de passation des marchés ont été sensiblement revus à la hausse pour chacune des trois catégories de marchés prévus par le Code.

En effet, en ce qui concerne les travaux, les seuils sont de passés de :

Pour  l’Etat, Collectivités locales, Etablissements Publics, agences non dotées de la personnalité morale :

 

– 25 millions FCFA à 70 Millions FCFA pour les marchés de travaux ;

– 15 millions FCFA à 50 Millions FCFA pour les marchés de fournitures et de services

–  25 millions FCFA  à 50 Millions FCFA pour les marchés de prestations intellectuelles ;

Pour les sociétés nationales et agences dotées de la personnalité morale :

 

– 50 millions FCFA à 100 Millions FCFA pour les marchés de travaux ;

30 millions FCFA à 60 Millions FCFA pour les marchés de fournitures et de services ;

 30 millions FCFA à 60 Millions FCFA pour les marchés de prestations intellectuelles ;

Le relèvement des seuils d’exigibilité des garanties de soumission et de bonne exécution

  • Pour les garanties de soumission :

–          Le seuil passe de 30 millions FCFA à 80 millions de FCFA pour les marchés de fournitures et de services ;

–          Pour les marchés de travaux il passe de 60 millions FCFA à 100 millions FCFA.

  • Pour les garanties de bonne exécution :

–          Le seuil passe de 25 millions FCFA à 70 millions FCFA pour les marchés de fournitures et de services ;

–          Pour les marchés de travaux le seuil passe de 35 millions FCFA à 100 millions FCFA.

Le relèvement des seuils de contrôle a priori des dossiers de marchés par la DCMP

  • Pour l’Etat, ses services déconcentrés et organismes non dotés de la personnalité morale, les collectivités locales et leurs services déconcentrés, les groupements mixtes et les établissements publics :

–          Marchés de travaux : 300.000 FCFA

–          Marchés de fournitures : 200.000 FCFA

–          Marchés de services et prestations intellectuelles : 150.000 FCFA

  • Pour les agences et organismes, personnes morales de droit public ou privé, autres que les établissements publics, sociétés nationales ou sociétés anonymes à participation publique majoritaire, dont l’activité est financée majoritairement par l’Etat :

–          Marchés de travaux : 400.000 FCFA

–          Marchés de fournitures : 250.000 FCFA

–          Marchés de services et prestations intellectuelles : 200.000 FCFA

  • Pour les sociétés nationales à participation publique majoritaire :

–          Marchés de travaux : 600.000 FCFA

–          Marchés de fournitures : 400.000 FCFA

–          Marchés de services et prestations intellectuelles : 250.000 FCFA

LA REACTUALISATION  DES DIFFERENTS DELAIS DANS LE PROCESSUS DE PASSATION DES MARCHES

  • Les délais sont maintenant présentés en jours calendaires ;
  •  Les Plans de Passation des Marchés (PPM) sont maintenant communiqués à la Direction Centrale des Marchés Publics (DCMP)  au plus tard le 01/12/n-1 de l’année budgétaire ;
  • La Publication des PPM  par la DCMP est désormais faite trois( 03) jours après réception ;
  • Les Avis Généraux de Passation de Marchés sont  publiés au plus tard le 15/01/n de l’achat public ;
  • L’acquisition des manuels scolaires s’effectue sur une  durée d’un (01) an, renouvelable sur  cinq (05) ans par avenant ;
  • L’approbation des marchés s’effectue dans un délai maximal de trois (03) jours par l’autorité habilitée ; et en cas de refus motivé dans les quinze(15) jours suivant la réception du dossier.

L’INTRODUCTION DE LA DEMANDE DE RENSEIGNEMENTS ET DE PRIX (DRP)  A COMPETITION OUVERTE 

  • Avant, il n’existait que deux (02) catégories de DRP ; à savoir la DRP simple et la DRP à compétition restreinte.

Avec le Code de 2014 actuel, il a été introduit la DRP à compétition ouverte  où l’autorité contractante lance un avis public d’appel à la concurrence ; le délai minimal de dépôt des offres étant de quinze (15) jours calendaires à compter de la date de publication de l’avis d’appel à concurrence.

LA MODIFICATION DU SYSTEME DE TRAITEMENT DES RECLAMATIONS DES SOUMISSIONNAIRES

 

  • Dans le cas d’un recours auprès du Comité de Règlement des Différends de l’ARMP, qui fait intervient à la suite d’un recours gracieux adressé à l’autorité contractante et qui ne satisfait pas au plaignant, la saisine est accompagnée de la pièce attestant du paiement d’une consignation dont le montant est fixé par Arrêté du Ministre chargé des Finances.

Cette consignation qui est remboursée au plaignant lorsque son recours est fondé, constitue un changement majeur dans le nouveau Code.

L’INTRODUCTION DE LA NOTION D’OFFRE SPONTANEE 

  • Selon l’article 81 du Code en vigueur, « l’autorité contractante peut donner suite à une offre spontanée de fournitures, de prestations de services et de réalisations de travaux lorsque celle-ci entre dans le cadre de ses missions et présente un intérêt général manifeste. »

Dans ce cas d’espèces, le dossier d’appel à la concurrence est élaboré sur la base des études préalables réalisées par l’auteur de l’offre spontanée qui précise, à la transmission desdites études, les données confidentielles ou de propriété intellectuelle qui ne peuvent faire l’objet de divulgation dans le dossier, à l’exception d’une cession de ses droits à l’autorité contractante.

Cette notion d’offre spontanée est une innovation de l’actuel code des marchés.

 

LA REFORMULATION DE LA RECEPTION DES PRESTATIONS

 

  • La réception des prestations a été reformulée ; en effet, pour plus de clarté, il est précisé que lorsque la commission de réception des travaux, fournitures ou services, constate des manquements par rapport aux prescriptions du marché, mais que ces manquements peuvent être admis en l’état, l’autorité contractante peut proposer au titulaire du marché une réfaction sur le prix global du marché ou sur les prix unitaires ; auquel cas et si le titulaire du marché est d’accord, une réception provisoire est effectués sur cette base.

 

LA MISE EN PLACE DES COMMISSIONS REGIONALES ET DEPARTEMENTALES DES MARCHES

 

  • Pour les marchés passés par l’Etat en dehors de la région de Dakar, il est mis en place des commissions régionales et départementales de marchés, par les gouverneurs de régions et préfets de départements, sauf dans les départements se situant dans les chefs-lieux de régions.

LA RE-ACTUALISATION DES DELAIS DANS LA TRANSMISSION DES PLANS DE PASSATION DES MARCHES  A LA DCMP

  •  Les Plans de Passation des Marchés (PPM) sont maintenant communiqués à la Direction de Contrôle des Marchés Publics (DCMP) au plus tard le 1er Décembre de l’année précédant l’année budgétaire considérée.

La DCMP contrôle la conformité du PPM et se charge de sa publication dans les trois (03) jours suivant la réception.

LA MODIFICATIONS DANS L’APPROBATION DES  MARCHES

  •  Dorénavant, aucun contrôle a priori ne peut s’effectuer après l’approbation du marché ; aussi, l’approbation ne peut être refusée qu’en l’absence de document attestant de l’existence des crédits y afférents.

Enfin, l’approbation du marché ne peut être refusée que par une décision motivée, rendue dans les quinze (15) jours suivant la transmission du dossier ; et ladite décision est susceptible de recours devant le Comité de Règlement des Différends.

LA SUPPRESSION DU CONTRAT DE PARTENARIAT

 

  • Le contrat de partenariat a été tout bonnement supprimé du Code actuel.

L’AVENEMENT DE NOUVELLES DEROGATIONS  AU CODE

  • L’acquisition des médicaments et produits essentiels est autorisée
  • L’achat aux enchères publiques par le service chargé du mobilier national, sans limitation de prix
  • L’exclusion des dispositions du code des marchés :

–          des prestations de nature juridique (services de conciliation, d’arbitrage, d’assistance et de représentation)

–          Des prestations relatives aux insertions publicitaires, l’hébergement et la restauration (sommets officiels, séminaires et ateliers)

  • La signature d’accords-cadres comme alternative aux DRP et Appels d’Offres Ouverts.

III- CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS

 Comme nous le constatons  tout au long du présent document, le Code portant réglementation de la passation des marchés publics du Sénégal a connu maintes réformes.

Ces réformes doivent continuer pour s’adapter aux vicissitudes que connait et continuera de connaître le domaine de la commande publique, mais aussi et surtout pour répondre aux préoccupations objectives des pouvoirs publics et des autres parties prenantes.

On peut affirmer sans risque de nous tromper, que l’état actuel du Code des marchés peut être jugé comme étant correct dans son ensemble, pour permettre une bonne mise en œuvre de la commande publique, et dans le respect des lois et règlements en vigueur aussi bien sur le plan national que sur le plan régional.

Cela n’empêche pas, qu’à chaque fois que de besoin, des réformes soient encore menées, mais dans le seul sens de consolider l’existant, et non de déconsolider, comme cela peut arriver si les experts du pays ne sont pas vigilants et suivent aveuglément les politiques qui eux, ont souvent leur propre agenda politicien qui ne cadre pas forcément avec l’intérêt général du pays.

La lutte contre la corruption qui gangrène nos économies et qui est bien présente dans la passation des marchés  doit effectivement rendre de plus en plus vigilants tous les patriotes de ce pays.

En effet, l’intégrité des acteurs de la commande publique est l’un des facteurs les plus dirimants pour sécuriser l’ensemble du processus de la passation des marchés.

Enfin, en tant que spécialiste du domaine, je terminerai par quelques  recommandations pouvant servir à consolider les acquis et à améliorer le système actuel de  passation des marchés de biens et de services au Sénégal.

A mon avis, il faut nécessairement :

–          Accorder une importance capitale dans la planification rigoureuse des activités de passation des marchés ;

–          Procéder de manière régulière à l’évaluation de l’exécution des plans de passation des marchés, afin de mieux cerner les écarts entre ce qui est planifié et qui est finalement exécuté ;

–          Renforcer les capacités techniques des cellules de passation des marchés au sein des autorités contractantes, (notamment sur les enjeux de la commande publique, mais aussi  la fraude et la corruption) et augmenter leurs effectifs de manière plus raisonnable ;

–          Rendre plus rigoureuse la sélection des membres des équipes d’évaluation des offres pour des raisons d’efficacité  et de transparence du processus, mais également dans un souci de de gain de temps ;

–           Mieux exploiter les résultats des audits des marchés publics, en vue d’apporter les correctifs idoines, et au bon moment, aux différents dysfonctionnements  relevés lors des missions d’audits

–          Explorer la piste qui consiste à externaliser progressivement l’activité de passation des marchés, pour mieux assurer les principes fondamentaux en matière de passation des marchés, à savoir, la transparence, l’économie, l’équité et l’efficacité.

Mor FAYE –  Spécialiste Sénior en Passation des Marchés Publics

Pour le Think Tank IPODE.

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