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Réforme foncière et économie pastorale

Par MO

Aujourd’hui, avec la récente installation officielle de la Commission Nationale de Réforme Foncière, le Sénégal entame une phase importante – cruciale –même dans le processus de gestion du régime foncier national. Et dans ce contexte, l’activité pastorale qui est le second pied de l’économie rurale, risque d’être encore une fois le grand oublié de la réforme si l’on n’y prend garde.

De tout temps, depuis l’époque coloniale, l’élevage pastoral a été un secteur économique peu ou pas pris en compte à la mesure de ses potentialités et de ses capacités de contribution à l’essor de l’économie nationale. La culture de rente – économie arachidière, par exemple- a toujours été privilégié par le pouvoir colonial par rapport à l’activité pastorale considérée comme une pratique traditionnelle de « nomades » presque sans terre d’attache, donc sans droits fonciers.

C’était là la première atteinte à l’un des plus essentiels des droits de l’homme : le droit à la terre, cette terre que nous partageons tous. Cheikh  LY (ISRA, 1989) citant  Feunteun  (1955)  rappelle que « ce n’est qu’assez  longtemps  après  l’installation  de  l’administration  coloniale  que  les pouvoirs  publics  coloniaux  se  sont réellement  intéressé à l’élevage. » On a l’impression que ce manque d’intérêt demeure toujours.

A ce jour, nonobstant les déclarations de principe, les divers plans d’action pour le développement de l’élevage (PLADEVEL, NISDEL, Plan d’Orientation Stratégique 2008-2015 pour un Développement Durable des Exploitations Familiales d’Elevage), les projets envisagés (création de fermes privées modernes grâce à la mise en place d’un Fonds d’Appui à la Stabulation et de Centres d’Impulsion pour la Modernisation de l’Elevage), l’élevage reste et demeure le parent pauvre de l’économie nationale et l’oublié des politiques foncières.

Pourtant, selon les sources officielles (CNMDE), l’élevage représenterait, actuellement 7% du PIB du Sénégal et « concerne environ 350.000 ménages au Sénégal, touchant plus de 3.000.000 de personnes et constitue un élément important de la sécurité alimentaire ».  En zone sylvo-pastorale, toutes les activités économiques de saison sèche tournent autour du pivot qu’est l’élevage, à travers les loumas, le Foiral de Dahra Djolof par exemple. Or, il est sous-exploité, sous encadré, et ne bénéficie d’aucun cadre juridique sécurisé, surtout en matière foncière.

Pendant ce même temps, malgré l’importance du cheptel,  le Sénégal accuse un  manque à gagner de quelques 60 milliards de FCFA annuels en importation de produits laitiers et viande (source : rapport 2005 MEL/DIREL/Division des Productions Animales). Il est aussi reconnu que « l’élevage ne reçoit qu’un faible pourcentage du total des investissements publics alloués au secteur agricole. Par ailleurs, on constate la vétusté des infrastructures à vocation pastorale». Le cas du Ranch de Dolly offre aujourd’hui un exemple on ne peut plus patent sur cette question.

Et l’une des contraintes majeures qui étouffent l’économie pastorale actuellement reste et demeure l’accès au foncier et la sécurisation subséquente du monde pastoral.

Ce qui se passe aujourd’hui au nord du pays (problème pendant du ranch de Dolly, terres de Mbane, et plus près de nous la dramatique situation de la Communauté rurale de Gnith avec l’accaparement des terres de la réserve de Ndael, arrachées de force aux pasteurs pour réinstaller le fameux projet Senhuile-Senéthanol qui a été bouté hors de Fanaye suite à un conflit terrien qui s’est soldé par mort d’homme), constitue une illustration ultime et gravissime de la précarité foncière dans laquelle sont confinées les populations pastorales. Cela démontre à satiété l’injustice que subit le monde pastoral en matière de droit de l’homme. Toutes les dispositions relatives au foncier, ont jusque –là ignoré pour ainsi dire l’activité économique pastorale. Jugeons-en.

Aux termes de la loi N° 64-46 du 17 juin 1964 relative au Domaine national « Les terres du domaine national ne peuvent être immatriculées qu’au nom de l’Etat. Toutefois, le droit de requérir l’immatriculation est reconnu aux occupants du domaine national qui, à la date d’entrée en vigueur de la présente loi, ont réalisé des constructions, installations ou aménagements constituant une mise en valeur à caractère permanent. » (art. 3).

Cette disposition ne pouvait concerner l’activité pastorale qui n’était nullement considérée, dans cette loi, comme une forme de mise en valeur. Ce faisant, ce sont toujours les populations pastorales qui sont déplacées à la faveur d’affectation de terres aux cultivateurs, dans des zones ou réserves anciennement classées et déclassées en la circonstance pour les besoins de l’agriculture. Les exemples font foison depuis l’aube des indépendances.

La Loi N° 2004-16 du 4 juin 2004, LOASP, publiée  au JO n° 6176 du samedi 14 août 2004) elle non plus, n’a fait guère envisagé mieux.  Il y manque, entre autres,  la reconnaissance formelle des métiers d’éleveurs ou de pasteurs, à l’instar de « la reconnaissance formelle des métiers de l’agriculture… » qui y est clairement statuée. En son article 44, sur la  « politique de développement de l’élevage » (chapitre 9), on reconnaît, presque du bout des lèvres, que « Le pastoralisme est reconnu comme constituant un mode de mise en valeur de l’espace rural et des ressources naturelles. »

Mais on s’empresse d’ajouter que « Les activités pastorales doivent être exercées dans le respect de l’environnement et des autres activités agricoles, sylvicoles et rurales ». Bien sûr. Mais cette promptitude à mettre les pasteurs en garde, découle du stéréotype fallacieux qui veut toujours faire valoir que l’activité pastorale est un facteur de détérioration de  l’environnement et des ressources naturelles. Ce qui est évidemment faux, au regard des ravages qu’a causé et continue de causer la culture arachidière, par exemple, aux sols cultivables du Sénégal !

En son chapitre 6, sur la  Réforme foncière (Titre III : Stratégies de développement agro-sylvo-pastoral) la même loi 2004-16 fait totalement l’impasse sur l’activité pastorale. En effet, alors qu’il y est dit clairement que « La politique foncière repose sur les principes suivants : la protection des droits d’exploitation des acteurs ruraux et des droits fonciers des communautés rurales, la cesssibilité encadrée de la terre pour permettre une mobilité foncière favorisant la création d’exploitations plus viables, la transmissibilité successorales des terres pour encourager l’investissement durable dans l’exploitation familiale, l’utilisation de la terre comme garantie pour l’obtention du crédit » (art. 22, al. 2), aucune ligne, aucun mot n’est dit sur le foncier pastoral.

C’est pourquoi, il est important de noter ce que le Premier Ministre Abdoul Mbaye a dit, lors de la cérémonie installation de la CNRF (L’Observateur N° 2857 du jeudi 28 mars 2013, p.10, sous la plume de Mathieu BACALY), à propos de la question foncière actuellement au Sénégal : « Aujourd’hui, la gouvernance foncière au Sénégal est malade  « …malade de ses textes dont beaucoup ont vieilli (à commencer par la loi de 1964 sur le Domaine national), malade des transformations économiques, sociales et démographique auxquelles elle n’a pas toujours su s’adapter ». « …malade du comportement de certains acteurs, qu’ils appartiennent à l’Etat ou aux collectivités locales ».

« Ayons donc la lucidité de reconnaître nos torts et attaquons-nous, après un diagnostic sans complaisance, aux racines du mal. »

Dans le rapport de présentation du décret n° 2012-1419 du 06 décembre 2012 relatif à la création de la Commission nationale de réforme foncière, il est dit à juste raison que «… la gestion des terres du domaine national par les communautés rurales est restée approximative. Elle a toujours été source de conflits répétés entre les populations. Elle ne répond pas aux objectifs de développement permettant le décollage économique de notre pays. »  (alinéa 4).

Et le  président de la CNRF, Me Doudou Ndoye,  d’avertir qu’« Il est inadmissible que notre Etat dont les citoyens n’ont aucun moyen pour travailler toute l’année interdise à toute autre personne de venir travailler chez nous en y apportant des capitaux. L’Etat ne doit pas admettre non plus que des personnes occupent des terres dans un but de spéculation sans rien y investir et sans associer les autochtones au bénéfice de la rencontre entre la terre et les capitaux. »

Mais l’option qui consiste à attirer des capitaux pour réaliser cette « rencontre entre la terre et les capitaux » implique-t-elle l’activité pastorale ? Rien n’est moins sûr, quand on sait que cette activité n’a pas encore droit à la terre, en tant que propriété foncière, c’est-à-dire officiellement.

Jusque-là, toutes les dispositions juridiques concernant le pastoralisme se limitent à la légifération sur les « parcours » du bétail, la gestion des conflits, les soi-disant projets de développement, mais jamais rien sur le foncier pastoral.

Quand cessera-t-on de déplacer les seuls et mêmes pasteurs au profit des besoins de l’agriculture ou des projets agro-industriels initiés de l’extérieur ? Les populations pastorales ont-elles seulement droit à la terre, aux terres de leurs ancêtres notamment ? Que faire pour une sécurisation viable et durable de l’activité pastorale ? Où finira l’accaparement des terres pastorales dans l’histoire du Sénégal ?

Pour ne pas conclure, il est essentiel de constater que la situation de l’économie pastorale reste encore précaire et victime de menaces diverses dans notre pays. Aujourd’hui, pour des besoins évidents de modernisation et de participation effective et efficiente à l’économie nationale globale, les acteurs pastoraux eux-mêmes ont besoin d’information, de sensibilisation et surtout de formation pour participer à la modernisation de l’élevage pastoral. Mais le foncier pastoral doit être pris en compte, clairement et définitivement, dans une gouvernance foncière inclusive, participative et transparente. C’est une condition sine qua non pour  un Sénégal émergent, dans la cohésion nationale, la sécurité et la paix.

Fary Silate KA,                                                                                                    

Chercheur à l’IFAN-Ch. A. Diop,

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