Les morts tragiques des migrants depuis le début de l’année sur les rivages de l’Europe et dans le désert du Sahara ont mobilisé les pouvoirs publics des deux côtés de la Méditerranée. Les opinions publiques africaines et européennes profondément émues par l’hécatombe que représente ces migrations ont mobilisé les décideurs politiques car il est des plus urgents de porter assistance à ces personnes en danger et ceci au nom de notre humanité. Il sera ainsi question de réfléchir ensemble sur les modalités de la régulation de ces flux entre l’Afrique et l’Europe. Pour ce faire, il conviendra aussi de définir des mesures draconiennes à l’encontre des trafiquants et passeurs qui exploitent ces personnes vulnérables et enfin d’initier des actions concrètes pour relever, ensemble, les défis engendrés par cette migration. C’est dans ce cadre qu’est convoqué le sommet de Malte qui se tiendra les 11 et 12 Novembre 2015. Il a été initié après le naufrage d’un chalutier au large de la Libye qui a fait plus de 700 morts dans la nuit de samedi 18 au dimanche 19 avril 2015. Ce sommet sera donc consacré à la question de l’immigration entre L’Union Européenne et l’Union Africaine. Malte étant avec l’Italie et la Grèce en première ligne face à l’afflux des immigrés africains qui tentent de gagner l’Europe au péril de leur vie.
Les enjeux:
Le sommet de Malte sera un tournant dans la gestion des flux migratoires entre l’Afrique et l’Europe. De sa réussite dépendra la sauvegarde d’une certaine idée partagée par tous de notre humanité et de la solidarité entre nos peuples. Doivent y être prises des décisions concrètes. Cela appelle à une analyse des causes réelles et profondes de la migration, qu’elles soient volontaires ou non, environnementales, économiques ou politiques. Devront y être abordés donc :
- Les mécanismes d’une mise en place d’une assistance humanitaire dans les situations d’urgence,
- La ratification par les États européens de la convention de 1990 sur les droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille : des pays comme la France refusant toujours cette ratification,
- Le renforcement des capacités à protéger les migrants et les demandeurs d’asile,
- La mise en place de politiques efficaces de retour, de réadmission et de réintégration des migrants irréguliers dans leur pays d’origine,
- La prévention continue et une lutte ardue contre la migration clandestine et le trafic d’êtres humains via les réseaux mafieux,
- L’amélioration de la coopération en matière de migration et de mobilité légale aux niveaux continental, régional et bilatéral.
En plus de ces enjeux cités précédemment, les autorités européennes envisagent selon le premier projet de conclusions entre les chefs d’Etat et de gouvernement des Vingt-huit de l’UE envisageraient de favoriser une politique plus efficace de retour des migrants dans les pays d’origine et de transit. Les européens placent aussi au cœur de leur stratégie la signature de nouveaux accords de réadmission, cadre juridique qui permet aux États membres de renvoyer de force leurs migrants clandestins dans leur pays d’origine. La Commission européenne a été ainsi chargée de négocier avec les pays sub-sahariens. Sur ce sujet, si les conditions financières et organisationnelles sont réunies, un accord est envisageable. Il s’agira d’un accompagnement efficace du fait d’une enveloppe financière conséquente. Les dirigeants européens aimeraient aussi accélérer les négociations en cours et toujours en suspens avec le Maroc et la Tunisie.
La voix de Macky Sall et son leadership au service de la CEDEAO :
En tant que Président en exercice de la CEDEAO, Macky Sall jouera un rôle considérable à ce sommet de Malte. Il verra ainsi son leadership se réaffirmer à l’échelle internationale. Le Président ira défendre devant les dirigeants européens une plateforme de l’organisation régionale en faveur de la sécurité et du respect de la dignité des migrants. Soulignons que le Sénégal dans son rôle a organisé à Dakar le lundi 2 novembre une rencontre préparatoire à ce sommet. A cette occasion, le ministre de l’Intégration africaine, Khadim Diop, se faisait l’écho de la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Ainsi, le ministre indiquait la ferme volonté des pays de l’Afrique de l’Ouest de dénoncer la discrimination dont sont victimes les Africains en Europe en matière de prise en charge de la question migratoire. Lors de ce sommet de Malte, destiné à définir des positions communes entre l’Europe et l’Afrique, la CEDEAO s’apprêterait donc à amender la militarisation de la question des migrations en Europe et l’érection de barricades aux frontières de l’UE. Ceci pose la question essentielle qu’est la nécessité de promouvoir, d’encadrer et de laisser prospérer la mobilité entre les deux continents. Le président Macky Sall en a brillamment parlé au 2e forum de la francophonie économique du 27 Octobre à Paris. Il avait profité de sa tribune pour aborder la question de la mobilité en espace francophone et a fait allusion dans le même temps au sommet de Malte en suggérant que la question de la mobilité figure à l’agenda. La position du Président Macky Sall, Président en exercice de la CEDEAO, a été aussi de dire, très justement, que la question de la mobilité doit être traitée de façon plus diligente, généreuse et ouverte, accueillant avec enthousiasme les annonces de la France faite par la voix de Laurent Fabius d’encourager la mobilité en espace francophone. La position commune africaine devrait être d’inviter l’Europe à aller dans le sens de la France sur cette question de la mobilité et de ne pas suivre l’attitude de repli et de xénophobie développée par ses politiciens d’extrême-droite souverainistes. Nous soutenons donc l’assertion du Président Macky Sall qui disait lors du second forum de la francophonie économique que « l’échange (entre les deux continents) se fera par le mouvement, par la libre circulation des biens et des services, certes, mais aussi par la mobilité des acteurs de l’échange. Si nous voulons entreprendre ensemble dans une économie mondiale pratiquant la libre concurrence nous devons avant tout faire en sorte que les hommes se déplacent sans entrave… »
Si l’Europe n’adopte pas cette posture d’ouverture malgré la pression d’une opinion de plus en plus recroquevillée sur elle-même, ceci risque de conforter le sentiment d’injustice vécu par l’opinion publique africaine face à l’arrivée des migrants du continent par rapport à l’accueil et au traitement qui a été réservé aux migrants venus de la Syrie. En Afrique, on s’étonnait de la grande compassion de l’Europe vis-à-vis des vagues de migrants venus d’Orient tandis que ceux en provenance de l’Afrique mourraient par milliers et ce depuis des mois. Les africains mériteraient aussi légitimement la même compassion humaniste.
Perspectives :
Il est manifeste que ni l’Union européenne, ni les pays de l’Afrique ne peuvent résoudre à eux-seuls le problème des migrations. C’est le propre de l’homme de se mouvoir et d’aller vers des espaces où sa sécurité et sa qualité de vie sont assurés. Les causes des migrations sont multiples et, à chaque cause décelée, il faudra apporter une batterie de réponses appropriées en gardant à l’esprit la sauvegarde de notre humanité. C’est le lieu de rappeler qu’il est urgent d’inviter l’Europe à renforcer son partenariat avec l’Afrique, via les programmes comme FRONTEX et INTERPOL pour gérer de façon responsable son flux de migrants. Le Sénégal a montré l’efficacité de ses dispositifs et compte de moins en moins de candidats à l’exil par la mer. Il faudra aussi renforcer la croissance dans les pays africains et le renforcement de capacité des Etats africains dans leur mise en place de politiques publiques efficaces et tourner sur des besoins endogènes, pour générer de la croissance et de l’emploi pour sa jeunesse. Car le continent africain souffre lui-même de nouvelles migrations internes liées au terrorisme, aux rébellions et aux crises sociales. Il faudra donc se pencher sur les raisons profondes des flux de populations que peuvent être les conflits armés, mais aussi les contextes économiques. Madame Michäelle Jean, Secrétaire Générale de la francophonie, disait à raison à Paris que le fait de créer de la croissance et de l’emploi pour la jeunesse africaine ferait reculer le terrorisme sur le continent et par ricochet pour l’Europe. Mais, comme le dit la CEDEAO, ce sont aussi certaines « contraintes structurelles de l’Union européenne » qui empêchent le décollage économique de certains pays africains. Les parties prenantes du sommet de Malte ne devront pas faire l’économie de se pencher sur cette question également.
Mohamed Ly
Président du Think Tank Ipode.