Le porte- parole du Gouvernement nous apprend que « pour accroître la lisibilité du budget, la loi de finances de 2016 consacre pour la première fois l’autonomie budgétaire des institutions comme l’Assemblée Nationale, le Conseil Économique, Social et Environnemental, ainsi les juridictions souveraines, en inscrivant dans la rubrique « transfert » la totalité des crédits qui leur sont alloués »
Cette partie de la déclaration du porte-parole du Gouvernement suscite de notre part des commentaires.
Le regroupement de tous les crédits dans un chapitre de dépenses de transfert n’est pas déterminant dans l’octroi du qualificatif « d’autonomie budgétaire ». Qu’entend-on ici par « autonomie budgétaire » ? Nous n’allons pas nous étendre sur l’ambiguïté de la notion d’autonomie budgétaire ou celle d’autonomie financière. Nous retenons simplement que l’expression « autonomie budgétaire » est plus restreinte que celle d’ « autonomie financière » parce qu’excluant les aspects comptables.
Il se trouve aujourd’hui que les pouvoirs publics auxquels le projet de loi de finances de 2016 a décidé d’accorder l’autonomie budgétaire bénéficient déjà de l’autonomie financière. C’est le cas pour l’Assemblée nationale (article 17 de la loi n° 2002-20 du 15 mai 2002), la Cour suprême (article 14 de la loi organique (LO) n° 2008-35 du 7 août 2008, le Conseil économique, social et environnemental (article 25 de la LO n° 2012-28 du 28 décembre 2012) et la Cour des comptes (article 1er de la LO n° 2012-23 du 27 décembre 2012).
Concernant l’autonomie financière accordée au Parlement, elle trouve son fondement depuis 1960 dans le concept de séparation des pouvoirs. En effet, les constituants de 1960 avaient retenu pour l’institution parlementaire la technique de l’inscription pour ordre des crédits nécessaires dans la loi de finances. L’article 55 de la loi constitutionnelle n° 60-045 du 26 août 1960 portant révision de la Constitution disposait en effet que « les crédits nécessaires au fonctionnement de l’Assemblée sont déterminés par elle et inscrits pour ordre au budget de l’État »; une disposition qui ne fut pas reprise par les constituants de 1963 et de 2001 mais qui fut consacrée, à tort ou à raison, dans le Règlement intérieur de l’Assemblée nationale (voir l’article 18 de la loi n° 78-21 du 28 avril 1978 et l’article 17 de la loi du 15 mai 2002 portant Règlement intérieur).
La pratique observée jusqu’ici est que les modalités d’application de cette technique ne sont pas clairement définies. Dans notre entendement, la technique de l’inscription pour ordre devrait signifier que le Parlement discute en son sein au préalable de son projet de budget et délibère ; une délibération matérialisée par le vote d’une résolution qui autorise l’inscription dans la loi de finances du montant total des dépenses à financer sur les recettes du budget général.
En bonne règle, c’est au vu de cette résolution des députés que le ministre des finances devrait inscrire les dotations parlementaires dans le projet de loi de finances, sous réserve du respect du cadrage macroéconomique.
Une décision qui renforce l’opacité de cette partie du budget de l’État sans oublier « la tradition, plus monarchique que républicaine » [1] qui veut que le budget des pouvoirs publics soit voté sans débat. Les dépenses concernées étant soumises à des procédures dérogatoires (non spécialisation, non-respect de toutes les procédures de la dépense, absence de service fait, inexistence d’un contrôle comptable, pièces justificatives non répertoriées dans la nomenclature des pièces justificatives, discipline financière non imposée, non justification dans le compte de gestion du comptable de l’État), il n y a pas donc de règles permettant d’apprécier la régularité des dépenses de ces pouvoirs publics.
Comment peut-on parler d’une meilleure lisibilité du budget de l’Assemblée nationale en mélangeant les crédits alloués aux indemnités des députés et aux salaires du personnel ainsi que les crédits destinés aux fournitures de service et à l’entretien courant avec les crédits de dépenses de transfert qui dans la pratique sont de tout le temps exécutés comme en matière de fonds « politiques ».
Soit en passant, l’Assemblée nationale devrait donner l’exemple en respectant la loi qui régit son fonctionnement. Le dernier alinéa de l’article 31 du Règlement intérieur de l’Institution stipule que « le compte définitif de chaque gestion est adressé par le Président de l’Assemblée nationale au Président de la Cour des Comptes ». Ce qui semblerait ne pas être le cas depuis plusieurs années, voire si cela le fut jadis.
Nous pensons que les députés ont voté cette disposition sans en mesurer la portée. La question en effet que nous posons est de savoir ce que doit faire la Cour des comptes à la réception de ce compte définitif. Si théoriquement en droit le Parlement peut contrôler la Cour des comptes, l’inverse n’est pas possible.
S’agissant des juridictions, comment va s’effectuer la gestion des dépenses de personnel puisque ces dernières ne disposent pas d’une autonomie administrative en la matière ?
Une décision qui ne respecte pas la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) Aux termes de l’article premier de la LOLF de 2001, les lois de finances déterminent la nature, le montant et l’affectation des charges de l’État. La nature des charges de l’État est déterminée par les articles 8 et 16 de la LOLF de 2001. L’article 8 prescrit le regroupement des dépenses ordinaires en quatre titres : la dette publique, les dépenses de personnel, les dépenses de matériel et d’entretien et les dépenses de transferts courants. Au surplus, l’article 9 de la même LOLF stipule que « (les crédits) sont spécialisés par chapitre, groupant les dépenses selon leur nature ».
Sauf disposition constitutionnelle ou légale qui nous est inconnue, les articles 8 et 9 de la LOLF de 2001 s’appliquent aux crédits des pouvoirs publics. On peut remarquer depuis 1960 que malgré l’existence dans le budget général d’une partie consacrée aux « dotations des pouvoirs publics », les crédits de ces derniers ont toujours été répartis par chapitres distinguant le personnel, le matériel, l’entretien et les dépenses spéciales ou diverses (devenues « dépenses de transfert »).
En conclusion
Tout d’abord, nous estimons que la présentation ne doit pas l’emporter sur la substance du budget surtout que la plupart des indicateurs comme celui de l’UEMOA relatif aux investissements sur ressources internes ne sont pas pertinents. Ce qui intéresse les citoyens c’est de savoir où va l’argent public.
Ensuite, il importe de rappeler que le budget des pouvoirs publics fait partie intégrante du budget général de l’État. La rubrique « transfert » n’aurait jamais dû exister dans la nomenclature des dépenses du budget des pouvoirs publics car par définition une dépense de transfert est une dépense qui sort du budget de l’État pour aller vers le secteur privé ou vers un démembrement de l’État doté de la personnalité juridique.
L’autonomie financière, qui est un privilège exorbitant du droit commun des finances publiques, constitue une dérogation au principe de l’unité budgétaire. Aussi, pensons-nous que toute exception à ce principe devrait relever du domaine de la Constitution ou celui de la loi organique relative aux lois de finances.
Enfin, nous nous demandons quelle inconvenance y a-t-il à ce que les crédits de ces pouvoirs publics soient répartis comme d’habitude dans des chapitres distincts conformément à la règlementation en vigueur et en attendant la mise en œuvre en 2016 de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances qui instaure la notion de dotations ?
PS : Dans sa déclaration liminaire, le porte-parole du Gouvernement fait un rappel du montant du budget de 1960. Si c’est pour des besoins de comparaison, ce rappel n’est pas pertinent surtout que le chiffre de 1960 est donné en valeur nominale c’est-à-dire aux prix courants ou en d’autres termes, sans la correction de la hausse des prix.
Par Mamadou Abdoulaye SOW Inspecteur principal du Trésor à la retrait Ancien Directeur général de la Comptabilité publique et du Trésor Ancien ministre
[1] Une expression empruntée à Les Dossiers du Canard, « L’argent secret des élections », n° 27, mars-avril 1988.