Dans les pays africains, on note souvent une propension à faire dire aux Constitutions ce qu’elles ne disent pas.
Puisque le thème relatif à la réduction du mandat présidentiel relève du principe de l’intérêt général, transcende les clivages politiques, et engage le devenir de la démocratie sénégalaise, il est du devoir de chaque citoyen de s’approprier le sujet.
Si tous les constitutionnalistes (Professeur Babacar Gueye, Pape Demba Sy, etc…) et tous les spécialistes du droit, dénués de tout esprit partisan s’accordent désormais sur le fait que la voie menant à la réduction du mandat présidentiel est parfaitement balisée par l’article 27 de la Constitution, une nouvelle thèse fait débat, portant sur « l’impossibilité juridique » de réduire le mandat en cours.
Cette thèse repose sur 2 postulats :
- Le premier oppose le serment présidentiel à la réduction du mandat ; la réduction du mandat étant assimilée à une sorte de « parjure », et par déduction une « violation » de la Constitution,
- Le second soutient que la réduction du mandat ne peut en aucune façon s’appliquer au mandat en cours, arguant d’un principe de « non-rétroactivité ». Il conclut que le Conseil Constitutionnel (après saisine à priori) validera le principe de la réduction du mandat, mais rejettera son application pour le mandat en cours pour motif « d’inconstitutionnalité ».
Une lecture juridique de la Constitution, Charte suprême, permet d’invalider chacune de ces hypothèses.
Sur le premier point, l’argument paraît pour le moins léger. En effet, lorsque le Président nouvellement élu s’engage en 2012 devant les membres du Conseil Constitutionnel à veiller au strict respect de la Constitution, il formalise via un serment solennel, son engagement « …d’observer et de faire observer scrupuleusement toutes les dispositions de la Constitution et des Lois… ».
Or, en 2012, le Président a prêté serment sur la base d’une Constitution qui contient un article dénommé « article 27 », qui prévoit de manière expresse que le mandat présidentiel ne peut être révisé que par voie référendaire. En recourant à cet article pour réduire son mandat, le Président ne fait qu’appliquer strictement la Constitution. Il n’y a ni parjure, ni violation supposée de la Constitution. Une « violation » de la Constitution suppose d’appliquer une disposition qui n’existe pas dans la Constitution.
Pour que cette hypothèse soit valide, il aurait fallu que le dernier alinéa de l’article 27 de la Constitution n’existât point et que ledit article soit libellé comme suit : « La durée du mandat du Président de la République est de 7 ans. Le mandat est renouvelable 1 seule fois ». C’est l’existence du dernier alinéa de cet article «… cette disposition ne peut être révisée que par voie référendaire » qui valide définitivement, d’un point de vue juridique, la démarche tendant à la réduction du mandat présidentiel.
Si la Constitution dispose que le mandat présidentiel est de 7 ans, il n’y a aucune intangibilité au niveau de la durée. La durée du mandat du Président n’est donc pas figée. Toute modification apportée dans les formes prévues par la Constitution (article 27) est donc parfaitement légale.
On voit donc que la dualité établie entre la supposée violation du serment présidentiel et la réduction du mandat est une construction purement intellectuelle qui n’est adossée sur aucun fondement juridique. En réalité, cette hypothèse pour le moins surprenante, censée établir une vérité officielle n’est basée sur aucune règle de droit. Elle est à la fois irrecevable sur le plan juridique et totalement contraire à l’esprit et à la lettre de la Constitution.
En vérité, pour ce qui est de la réduction du mandat, l’action du Président s’inscrit en parfaite conformité avec la Constitution. Le serment présidentiel est doublement respecté aussi bien en amont, devant les membres du Conseil Constitutionnel, qu’en aval par l’application stricte d’une disposition de la Constitution (article 27).
Le second argument qui porte sur « l’impossibilité juridique » de réduire le mandat en cours, émet l’hypothèse selon laquelle, in fine, le Conseil Constitutionnel, déclarera « inconstitutionnelle l’application de la réforme pour le mandat actuel », évoquant un principe de non rétroactivité.
Sur le principe de non rétroactivité, il n’y a pas lieu de s’étendre sur le sujet car plusieurs constitutionnalistes, dont 2 qui inspirent le respect, se sont exprimés sur le sujet, arguments à l’appui.
Le Professeur Babacar Gueye, un des rédacteurs de la Constitution de 2001 (il sait donc de quoi il parle) affirme sans ambages « qu’il est parfaitement fondé en droit, de donner un effet rétroactif à une loi constitutionnelle ». Quant au Professeur Pape Demba Sy, il va même plus loin, soutenant que « la rétroactivité n’est pas un principe constitutionnel, sauf en matière pénale ». Ces 2 avis combinés de constitutionnalistes ôtent désormais tout argument valable aux tenants de la thèse de non rétroactivité qui se retrouvent démunis et considérablement fragilisés sur le plan juridique.
Ce point étant posé, il convient maintenant de porter un regard sur le Conseil Constitutionnel, après que le Président ait décidé en 2015, une saisine à priori dudit Conseil pour avis en 2016. Un délai….
En fait, l’avis du Conseil Constitutionnel découlera de la réponse à la première question.
Une réduction du mandat présidentiel est-elle conforme à la Constitution ? La question est tranchée par la Constitution en elle-même (le dernier alinéa de l’article 27).
Si la réponse est oui, la réduction du mandat présidentiel peut-elle s’appliquer au mandat en cours ?
A partir du moment où la durée du mandat présidentiel n’est pas intangible, figée au niveau de la Constitution ; dans la mesure où l’article 27 de la Constitution dispose que la durée du mandat présidentiel est de 7 ans ; qu’elle admet simultanément que celle-ci peut faire l’objet d’une révision ; étant entendu qu’une révision de la durée du mandat est parfaitement légale, puisque prévue par la Constitution ; le Conseil Constitutionnel, gardien et interprète suprême de la Charte fondamentale ne peut que déclarer une telle démarche parfaitement constitutionnelle.
Au vu de tout ce qui procède, le Conseil Constitutionnel ne saurait, d’un point de vue juridique, déclarer que la réduction du mandat présidentiel en cours constitue une violation de la Constitution (souhait caché de certains). Car, sur ce point, la Constitution est à la fois claire et cohérente.
A ce niveau, la question de l’application de la réforme n’est plus d’ordre juridique, mais politique, car elle dépend exclusivement de la volonté du Président qui dispose de 2 options parfaitement légales :
- Il peut décider que la réforme s’appliquera au prochain mandat (une démarche totalement légale), mais se heurtera à l’opinion populaire qui lui reprochera un énorme WAKH WAKHET,
- Il peut décider que la réforme s’appliquera au mandat en cours en libellant, par exemple la question soumise au référendum de la manière suivante : « Approuvez-vous l’idée de réduire la durée du mandat présidentiel de 7 à 5 ans et son application pour le mandat en cours » ?
Dans le second cas, si le peuple manifeste son approbation de la dite réforme, cette expression de la volonté populaire sera inscrite dans la Constitution modifiée ou la nouvelle Constitution (issue des conclusions des travaux de la CNRI, dont l’adoption exige une réelle volonté politique).
En conclusion, la saisine à priori du Conseil Constitutionnel en 2016 diffère le moment, mais ne change pas fondamentalement la donne. Si le droit est dit (il n’y a aucune raison que ce ne soit pas le cas), les élections présidentielles sénégalaises auront lieu en 2017. La réduction du mandat présidentiel, de même que son application au mandat en cours ne posent aucune difficulté d’ordre juridique. L’idée de complexité de mise en œuvre de la réforme, voire « d’impossibilité juridique », agitée tel un épouvantail, est rejetée par tous les constitutionnalistes dignes de ce nom.
Mis bout à bout, tous les pseudo arguments « juridiques » développés, relayés, et amplifiés au niveau des médias pour « torpiller » cette réforme attendue sont juridiquement infondés. Encore faudrait t’il que les thèses contraires à celles précédemment avancées ne fassent pas l’objet d’une censure de la part de certains médias, dans l’unique but d’entretenir, à dessein, une confusion dans l’imaginaire des sénégalais. L’intérêt du débat démocratique exige une clarté totale sur le sujet.
Seybani SOUGOU