Nous avons tous l’impression que nous devons nous suffire du Plan Sénégal Emergent (PSE) et en faire comme chez le religieux, notre livre sacré de chevet. Et qu’oser étaler ses insuffisances pousserait certains à crier au sacrilège. Il ne s’agit pas ici, de porter un procès d’intention à ses initiateurs ou de ne pas reconnaître à nos leaders politiques la volonté de répondre positivement au concept de l’émergence qui, selon beaucoup d’analystes, trouve son meilleur crédit en Afrique et plus particulièrement au Sénégal. Nous pensons qu’il est important de montrer les limites du PSE et dépasser objectivement les frontières de l’apologie que nous offrent très souvent les mentors de la complaisance et de l’analyse facile.
La logique voudrait que l’Afrique profite de cette crise qui tend à être structurelle pour non seulement sortir la tête de l’eau, mais s’affirmer comme un continent puissant qui s’impose économiquement à la face du monde parce que détenant tous les atouts lui permettant de réussir un tel défi. L’on me dira qu’hormis sa forte démographie, ses ressources naturelles et l’authenticité de sa culture, elle ne présente pas encore toutes les évolutions positives sur le plan technique, industriel, scientifique et social. Mais force est de constater que si le développement économique est assimilé au progrès, nous pouvons confirmer sans hésitation que les changements structurels qui se sont opérés en Afrique et au Sénégal en particulier, doivent faire naître chez les élites politiques une ambition et un optimisme inébranlables surtout quand il s’agit de la prise en charge des destins nationaux. C’est pourquoi un pays stable, très attractif et ouvert sur l’extérieur ne peut pas se permettre de confier tout son destin à un seul programme qu’est le PSE, une continuité de la stratégie de croissance accélérée (SCA) du Président Wade, laquelle fut engagée en 2005 visant aussi à hisser le Sénégal au rang de pays émergent. Bien que ce dernier dépassa largement en terme de bilan son prédécesseur socialiste, ses magistères n’ont pas pu recentrer les priorités dans la perspective de garantir durablement la stabilité économique, politique et sociale du Sénégal. Mieux, l’amélioration de la qualité du cadre macroéconomique enclenché depuis la dévaluation du franc CFA en 1994 même si elle a permis au Sénégal d’atteindre des taux de croissance de 4,9% à 5,8% à partir de 2000, présente un certain nombre de problèmes qui persistent jusqu’à nos jours. Il s’agit entre autres, des difficultés de compétitivité structurelle, de stagflation, d’accès précaire à un foncier aménagé, de financement ainsi que de mauvaise connaissance des marchés. Il s’y ajoute le phénomène lié à l’autosuffisance alimentaire, à la prédominance de l’économie de la traite arachidière, à la crise de l’enseignement supérieur qui met à genoux la recherche scientifique, sans oublier la concentration du système sanitaire dans la seule capitale qu’est Dakar. Des efforts ont été enregistrés mais il convient de souligner qu’ils demeurent insuffisants.
Des indépendances à aujourd’hui (ou de l’indépendance à la dépendance), la politique économique et sociale reste au creuset de quelques victoires et de beaucoup de déboires. Les objectifs du millénaire pour le développement (OMD) à l’horizon 2015 est un projet très ambitieux car ils entendent lutter pour la baisse de la pauvreté (je suis pour la réduction des fortes inégalités sociales !), de la mortalité maternelle et infantile, permettre de promouvoir un environnement économique et social stable et durable. Cependant, si rien n’est fait, la léthargie du plan d’actions prioritaires (PAP) risque de fausser la nouvelle dynamique de croissance forte et inclusive de plus de 7% par an. Cette vision 2034 qui repose essentiellement sur la création de richesse et d’emplois ne peut être atteinte dans un pays où les acteurs politiques ont du mal à faire la part des choses entre une responsabilité nationale confiée ou héritée et l’envie de se hisser à un statut social enviable. Sans se soucier du contexte morose de l’économie mondiale qui n’est pas sans conséquence sur le quotidien des populations des pays du Sud et le sort des populations accroupies devant une montagne de souffrances, la bassesse politique et l’esprit réactionnaire freinent notre capacité à agir moralement pour l’intérêt national. Certains, soucieux de leur propre lendemain, sont allés jusqu’à réduire le champ politique en un simple sanctuaire du veni, vidi, vici, poussant même des Seriñ fak taal à devenir des seriň lamb confirmés. Ces derniers, de plus en plus nombreux à tomber dans le hameçonnage politique clientéliste, n’offrent plus ce cadre idéal basé sur une éthique capable d’orienter notre société malade vers les vraies responsabilités qui doivent animer leur existence. Caaxaan, wax lu dul dëg ak naafekk lëmbè nañu rèewmi !
La brutale et catastrophique réduction de liquidité de 2008, le « credit crunch » ou l’effondrement du crédit oblige le marché financier à s’intéresser davantage à l’Afrique, un continent dont la réceptivité à la croissance est bien réelle. Cependant, aucun pays du monde n’a connu un dynamisme économique, un niveau de vie élevé de sa population et une prospérité enviable en se basant essentiellement sur le prêt et l’aide internationale. L’effondrement de ce secteur de la finance n’a pas tardé à mettre à genoux les pays qui connaissent un niveau d’investissement anémique. Par conséquent, le développement a pour ciment, le pragmatisme national, le déploiement de toutes les forces vives pour défier les trajectoires de l’histoire. L’effet “pop-corn” à l’échelle internationale a provoqué de facto, l’insolvabilité des dettes des pays africains. Le passé et la réalité quotidienne doivent pousser à plus de rigueur et de prise en charge du destin national en partant d’abord des facteurs endogènes : le génie créatif, le capital humain, les ressources naturelles, la restauration des valeurs chevaleresques chez les acteurs politiques et chez les citoyens. Le Sénégal n’a plus droit à l’erreur. Il faut agir vite, maîtriser les déficits budgétaires, le chômage alarmant des jeunes, profiter de l’atout du secteur informel, exploiter les terres arables pour une agriculture moderne et diversifiée, doter l’intérieur du Sénégal d’infrastructures sanitaires de qualité, régler définitivement le problème de l’éducation, de l’enseignement et de la recherche, sans oublier de lutter contre les contraintes extérieures liées à l’absence de parts de marché constantes au niveau international.
Ne disposant pas d’une politique monétaire autonome, les périodes de surchauffe économique comme celle liée à l’inflation, n’épargnent pas les structures économiques et sociales. Face à cette situation, il est crucial de créer des espaces économiques sous régionaux en partant d’une monnaie unique permettant de recouvrer les mesures agissant sur les conditions de financement de nos économies respectives. Loin de tenter à critiquer inutilement le PSE, il s’agit tout simplement, face à l’urgence, de se montrer réaliste et pragmatique et de se dire que face aux maladresses nationales et à l’architecture défaillante de la zone UEMOA, il faut s’inscrire dans le cadre d’une remise en cause de ces concepts venus d’ailleurs qui vont souvent à l’encontre de nos réalités socio économiques. Si rien n’est fait au niveau local grâce au réveil de nos élites politiques sur la base de facteurs endogènes mûrement réfléchis avec probité, sérieux et dignité, le PSE restera cette mascotte à croissance « go slow » qui servira de vache laitière.
Daouda Diop – Historien économiste