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De l’analyse de la protection des investisseurs étrangers dans les Accords Bilatéraux d’Investissement du Sénégal par le Think Tank Ipode

Par MO

Afin d’encourager l’investissement, le Sénégal a signé avec différents pays des Accords Bilatéraux d’Investissement (ABI).

Ces accords visent la protection et la promotion des investissements. Dans la pratique, les investisseurs jouissent d’avantages et d’une protection qui pourraient porter atteinte à la souveraineté de l’Etat du Sénégal. Il est de ce fait légitime de se demander si le Sénégal ne protège pas trop les investisseurs étrangers à travers les ABI

Ndeye-Marame-Kane-DialloAfin de régir la protection des avoirs étrangers, le Sénégal a recours aux Accords Bilatéraux d’Investissements (ABI). Ces accords établis entre deux Etats sont, dans la théorie, réciproques et visent la promotion et la protection des investissements des ressortissants d’un des pays contractant sur le territoire de l’autre pays contractant de l’accord. Ceci tend à sécuriser l’environnement des affaires de notre pays, augmenter la confiance des ressortissants des pays avec lesquels on contracte ces ABI, et aussi protéger nos investisseurs dans ces dits pays.

Le Sénégal a signé 26* ABI dont 10 sont en vigueur (voir le tableau ci-dessous), et on peut les retrouver sous les vocables d’ « accord d’encouragement et de protection des investissements » ou encore d’ « accord de promotion et de protection des investissements ». Ces différents ABI sont pour l’essentiel axés sur la protection des investissements, sans effet réel sur la promotion.

Les ABI du Sénégal en vigueur

PAYS SIGNATAIRES ANNEE DE SIGNATURE
1 Suisse 1962
2 Allemagne 1964
3 Suède 1967
4 Hollande 1979
5 Roumanie 1980
6 Royaumes Unis 1980
7 Etats Unis 1982
8 République de Corée 1984
9 Argentine 1993
10 Maurice 2002

Source : http://investmentpolicyhub.unctad.org/IIA/CountryBits/186#iiaInnerMenu

*Nous nous sommes aperçus au cours de nos recherches, qu’il y avait des ABI du Sénégal avec les Emirats Arabes Unis, ou encore avec la France, mais ces accords ne font pas l’objet de publication et ne sont pas répertoriés par la CNUCED. De ce fait, ne pouvant avoir accès à ces ABI, nous nous sommes limités à l’analyse des ABI figurant dans la base de données de la CNUCED à ce jour.

Ainsi, il ressort des ABI du Sénégal la reconnaissance du principe du traitement juste et équitable de l’investisseur. Ce principe reste abstrait et les tentatives tendant à clarifier son contenu sont relativement rares. Toutefois, il est possible d’affirmer « qu’il s’agit d‘un étalon de mesure plus que d’une règle matérielle de droit ». En effet, selon une interprétation attachée au sens littéral des termes, il s’agit de traiter l’investisseur selon les règles de droit internes et internationales. L’Etat devra garantir à l’investisseur le traitement équivalent au « standard minimum » garanti par le droit. Le caractère imprécis de ce concept fait qu’il est difficile d’en mesurer les effets.

Aussi, les obligations relatives au traitement postulent-elles que le Sénégal ne peut accorder à l’investisseur un traitement moins favorable que celui accordé aux autres investisseurs étrangers. De même, l’investisseur devra bénéficier des mêmes avantages que ceux accordés aux nationaux. Ces obligations résultent respectivement de la transcription des principes de la nation la plus favorisée et du traitement national.

Dans la même logique, l’expropriation est fortement encadrée. Dans les cas d’expropriation pour cause d’utilité publique, l’investisseur est assuré que l’indemnisation sera immédiate et effective. Il en va de même des autres garanties dont jouit l’investisseur tel que la règle du libre transfert des fonds, la règle prohibant la prescription de résultat.

NORMES

DESCRIPTION

Traitement juste et équitable Il est fait référence à l’équité et au standard minimum de protection requis.
Traitement de la Nation la plus favorisée L’investisseur doit bénéficier d’un traitement non moins favorable que celui accordé par l’Etat concédant à tout investisseur d’un Etat tiers.
Traitement national L’investisseur jouit des mêmes avantages que ceux accordés aux nationaux.
Expropriation et Nationalisation* Soumises à conditions : cause d’utilité publique, non-discrimination, procédure légale, droit à une indemnisation immédiate et effective.
Prescription de résultat L’investisseur bénéficie d’une autonomie de gestion.
Transfert des capitaux Il ne sera pas fait obstacle au rapatriement des gains ou du capital en cas de liquidation de l’investissement.

 

* Il existe une controverse dans les effets de l’expropriation ou de la nationalisation. Si pour certains il s’agit de la même procédure ; d’autres stipulent que dans le cas de l’expropriation il s’agit d’une relation directe entre l’Etat et l’investisseur, tandis que dans le cas d’une nationalisation on a recours aux accords intergouvernementaux.

 

Ainsi, il apparait que l’investisseur étranger bénéficie de l’assurance d’une sécurité tant au niveau de ses biens que du traitement dont il bénéficie.

Dès lors, on pourrait se demander au vu de la protection dont jouit l’investisseur, si l’Etat dispose vraiment d’une marge de manœuvre.

Ces accords sont en effet peu flexibles et laissent à l’Etat peu de latitude quant à la prise de certaines décisions qui pourraient affecter le statut des investisseurs. L’Etat se trouve dans une position où lorsqu’il prend des décisions de politique publique il est susceptible de faire l’objet d’un arbitrage. De fait, même lorsqu’il ne prend aucune décision ce risque d’arbitrage demeure.

En effet, les investisseurs étrangers ont la possibilité de saisir le Centre International pour la Résolution de Différends relatifs aux Investissements (CIRDI) en cas de conflit avec l’Etat hôte. Ce dernier peut être contraint de payer des compensations même si les mesures prises étaient légitimes. Le Sénégal a été attrait à différentes occasions devant le CIRDI, notamment dans les affaires suivantes :

  • l’affaire de la Société Ouest Africaine des Bétons Industriels (SOABI), où cette dernière voulait la réparation du préjudice qu’elle prétendait avoir subi du fait de la rupture par le Gouvernement sénégalais d’un contrat de construction de logements sociaux ;
  • l’affaire Millicom, où il s’agissait de la remise en cause par l’Etat du Sénégal de la licence d’exploitation du réseau mobile. L’Etat du Sénégal prétendait que la somme (50 millions FCFA) dont s’était acquittée MILLICOM ne représentait pas la valeur réelle de la licence.

Ces règles que doivent respecter l’Etat font donc l’objet d’une interprétation par le CIRDI et la liberté normative peut en être largement affectée. La déduction qui s’impose est que dans les ABI, l’Etat contracte des engagements qui pourraient porter gravement atteinte à sa souveraineté, de ce fait, il est contraint d’agir de manière à ne pas engager sa responsabilité internationale.

Afin de mieux aider les Etats à négocier et à réviser leurs ABI, la Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED) développe un modèle d’accord bilatéral que des pays comme le Sénégal pourraient utiliser. Ce type d’accord permettrait plus de flexibilité dans la prise de décisions, surtout pour les domaines relatifs à l’environnement ou à la santé publique.

L’accord modèle propose, dans un premier temps, une définition beaucoup plus limitée de l’investissement. En effet, suivant les différents ABI du Sénégal, les investissements sont définis comme étant « toutes catégories de biens, y compris toutes les catégories de droits et d’intérêts ». Cette définition est trop large et prend en compte le « portfolio Investment »  ou investissement de portefeuille. Par exemple, un touriste possédant des villas au Sénégal est, conformément à la définition de l’investissement adoptée, considéré comme un investisseur, et pourrait donc profiter de la protection (si l’Etat dont il est ressortissant a signé un ABI avec le Sénégal). Une révision de cette définition de l’investissement permettrait de ne plus prendre en compte ce type d’investisseur et de limiter les possibilités d’engager des poursuites contre l’Etat.

Cet accord modèle essaie également de revoir et de mieux encadrer le traitement juste et équitable car cette notion reste ambiguë. Le concept est vague et est très populaire dans les pays développés qui l’utilisent généralement afin de se protéger contre toutes sortes de mesures.

Dès lors, le nouvel type d’ABI devrait contenir des dispositions relatives à la protection de l’environnement et de la santé publique. De même, les obligations ne devront plus seulement peser sur le pays hôte, mais aussi sur le pays d’origine de l’investisseur. Ces pays devront encourager leurs ressortissants à investir dans le pays signataire pour que l’accord puisse avoir un impact sur le flux des investissements.

En définitive, signer un ABI n’a pas nécessairement pour effet d’attirer les investissements. Ce qui est sûr c’est que cela engendre une protection des investissements étrangers qui n’auront pas forcément un impact positif réel sur l’économie sénégalaise.

Par ailleurs, les pays partis aux accords d’investissement se trouvent à des niveaux différents de développement. Si pour les pays développés l’objectif est de protéger au maximum leurs ressortissants, pour les pays sous-développés comme le Sénégal, l’objectif devrait être de faire en sorte que ces accords soient suffisamment souples. Ceci permettrait à l’Etat d’acquérir une marge de manœuvre lui permettant non seulement de favoriser l’investissement, mais également son développement et sa croissance économique. De même, la notion de développement durable devrait plus être prise en compte dans les ABI afin d’instaurer une politique d’investissement socialement responsable.

 

Ndéye Marame Kane Diallo – Stage d’Etude Institut virtuel CNUCED/ GENEVE

Pour le Think Tank IPODE

23 commentaires

Falou Samb novembre 19, 2014 - 7:39 pm

Bon travail et belle analyse. Bravo

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Marame novembre 20, 2014 - 2:09 pm

merci beaucoup, contente de vous l’entendre dire.

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OREMARE Doumdeoudje novembre 20, 2014 - 12:26 am

excellente analyse.. je suis fier de toi

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Marame novembre 20, 2014 - 2:10 pm

Merci Beaucoup Oremare , c’est gentil

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Moustapha ndiaye juin 26, 2020 - 11:41 am

Merci pour l’analyse. En tout cas être pays sous développé et souveraineté ne rime pas trop après lecture de la problématique posée.

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Seydina novembre 20, 2014 - 8:52 am

Moi qui ne connait pas grand chose aux questions économiques je lis un texte et je me coucherai un peu moins bête. Problématique clairement posée, exposé limpide sans phrase pompeuse écrit dans un français tout aussi sobre. Charmante

Je parcourais l’autre jour le site de l’Apix. Pour le DISEZ les entreprises installées seront exonérées de taxes pendant 50 ans. Je trouve cela long 50 ans. Et lorsque dans l’article je lis que les ABI ne favorisent pas vraiment l’investissement alors qu’ils surprotègent les entreprises qui en bénéficient, je m’interroge sur les avantages réels dont notre pays tirera de toutes ces mesures.

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Marame novembre 20, 2014 - 2:20 pm

Merci Seydina.
Vous avez raison Seydina, c’est un réel problème. Les investisseurs sont surprotégés et le plus malheureux c’est que ces accords sont censés être réciproques mais c’est surtout les investisseurs ressortissants des pays développés qui en bénéficient vraiment. Le Sénégal investit peu, donc il s ‘agit juste de règles qui sont édictées pour une partie ( en pratique).

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Papis Ndiaye novembre 20, 2014 - 9:23 am

Bravo à Mme pour cette étude. Aux gouvernants de s’en servir, si réellement ils veulent changer certaines choses.

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Marame novembre 20, 2014 - 2:21 pm

Merci beaucoup Papis, et j’espère tout comme toi que cet article sera utile.

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David novembre 20, 2014 - 4:59 pm

Tres bonne analyse et surout tres bien redige dans le fond comme dans la forme.

Beaucoup de points pertinents qui meritent reflexion et prise en charge par nos chers dirrigeants et surtout dans un contexte ou l’afrique est devenu le seul continent avec un fort taux de potentiel developpement. Ceci rend ce continent le point de chute incontournable et le concert de bataille de toutes les puissances occidentales a savoir s’implementer pour mieux assoir sa suprematie sur le reste du monde… Donc a nous la nouvelle generation de cadres et dirigeants africains et pays en voie de developpement, qui avons partage les memes institutions et outils de formations que cette nouvelle classe dirigeante occidentale, de remettre la discussion sur la table dans un esprit equitable de Win-Win.

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Marame novembre 24, 2014 - 2:50 pm

Merci David. je partage ton avis et c’est surtout à nous jeunes d’essayer de voir comment améliorer la situation de notre pays, de notre continent. on parle d’effort, d’emergence , mais dans la realité on est encore tres loin derriere.

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Sagna novembre 20, 2014 - 7:40 pm

pertinente analyse
et tu as su bien captivé mon attention
congrats !!

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Marame novembre 21, 2014 - 6:57 pm

Merci beaucoup Sagna,

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TymaFALL novembre 20, 2014 - 10:52 pm

Je vous félicite et vous encourage beaucoup ma grande .
Votre analyse m’intéresse puisque c’est en rapport avec le commerce international qu’est une branche de ma spécialisation .
Bonne continuation

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Marame novembre 21, 2014 - 6:55 pm

Merci beaucoup Tyma, contente que l’article vous soit utile. merci

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Claude Huguenin novembre 22, 2014 - 5:33 pm

Un très grand bravo, Mademoiselle! Je suis double nationalité: sénégalaise et suisse. J’ai été de longues années directeur d’entreprise au Sénégal et votre article m’a beaucoup appris. Résidant toujours « au pays », comme retraité « actif » je sais que de nombreux investisseurs potentiels ignorent ce que vous « dévoilez ». Heureux de lire que des jeunes comme vous participent au développement équitable et juste du pays. Je serais honoré de pouvoir discuter de ces aspects avec vous. Je vous souhaite plein succès

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Claude Huguenin novembre 22, 2014 - 5:43 pm

Un grand bravo, Mademoiselle. Etant double nationalité, sénégalaise et suisse et ayant occupé de nombreuses années un poste de Directeur « au pays », votre article m’a encore appris des aspects que j’ignorais et je crois bien ne pas être le seul ! Aujourd’hui, bien que retraité et installé au Sénégal, mais toujours actif, je sais que certains investisseurs potentiels sont confrontés à certaines difficultés….et votre article pourrait leur ouvrir les yeux! Je serais heureux de pouvoir échanger certaines idées à ce sujet avec vous. Encore bravo et bon courage pour votre avenir

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Marame novembre 24, 2014 - 2:41 pm

Merci Beaucoup Claude. je suis contente que vous ayez apprécié l’article. c’est avec plaisir que j’échangerai dessus et je pourrais de mon coté profiter de votre expérience. Nous pouvons échanger ici, mais aussi par mail ( maramek@hotmail.fr).
je suis ouverte à vos questions mais aussi à celles des autres qui seraient intéressés par le sujet.
merci

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Claude Huguenin novembre 24, 2014 - 3:04 pm

merci de votre prompte réponse. Je vous recontacte ces prochains jours.
Claude Huguenin

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dieynaba samari novembre 26, 2014 - 8:56 am

bravo maram fier d toi analyse très pertinente dili ngama xam xam thx sister

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Marame novembre 26, 2014 - 11:56 pm

Merci beaucoup Diena, contente que l’article ait servi. Merci encore chere soeur.

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BALDE mars 30, 2016 - 5:02 pm

J’apprécie énormément la qualité du document. Je travaille en thèse sur la protection des contrat d’investissement dans l’espace UEMOA. Serait un grand plaisir d’échanger avec vous.

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BALDE mars 30, 2016 - 5:06 pm

Intéressant

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