« Tout le monde a demandé de l’argent au président Abdoulaye Wade, y compris Macky Sall ». C’est la réplique facile que Me Amadou Sall a faite à son confrère Yérim Thiam, qui appelait ironiquement Karim Wade « Papa m’a donné », en souvenir du « Papa m’a dit » de Jean-Christophe Mitterrand. Pour ajouter à la confusion et à la surprise, une voix a alors été entendue pour demander à Papa Samba Mboup (ancien ministre chef de cabinet de Wade) de décliner la liste de tous les bénéficiaires de la générosité sans limite du Crésus sénégalais. Cette générosité est devenue une sorte de rempart, de parade pour tous les dignitaires de l’ancien régime qui seraient suspectés d’enrichissement illicite. C’est elle qui a alimenté toutes les fortunes.
Ainsi, en marge de l’arrestation de Karim Wade ou d’un événement lié à cette arrestation, un journaliste a demandé à l’ancien Premier Ministre Souleymane Ndéné Ndiaye s’il n’avait pas peur, lui aussi, d’être arrêté pour délit d’enrichissement illicite. Il a répondu sans ambages, si mes souvenirs sont exacts, qu’il n’avait aucune raison d’avoir peur. Le journaliste revient à la charge : « Vous n’êtes pas pauvre, monsieur le Premier Ministre ! » M. Ndiaye répond, plus sûr de lui que jamais : « Je ne peux pas être pauvre. En tant que Premier Ministre pendant trois ans, j’avais un salaire mensuel de 4 millions de francs Cfa, encore que ce salaire ne puisse pas enrichir vraiment. » Et l’ancien Premier Ministre du vieux prédateur d’enfoncer le clou en révélant que ce dernier lui donnait périodiquement beaucoup d’argent. Afin que nul n’en ignore, il ajoute, ironique : « Demandez à l’actuel Président de la République ! Il a été Premier Ministre avant moi et en sait quelque chose. »
L’actuel Président de la République reconnaîtra, lui aussi, avoir bénéficié des larges privilèges du régime du plus vieux président. Quelques années auparavant, un autre Premier Ministre, Idrissa Seck, avouera publiquement, lui aussi, avoir bénéficié de la générosité légendaire du vieux prédateur. Ainsi, invité à l’Emission « Grand Jury » de Mamoudou Ibra Kane le dimanche 29 octobre 2006, M. Seck répond ceci à une question sur l’origine de sa fortune : « Je ne me suis pas enrichi à la faveur du pouvoir. Les seules ressources que mon passage au pouvoir a mises à ma disposition et qui renforcent mes moyens d’intervention politique et sociale, ce sont les fonds politiques que le président de la République lui-même m’a alloués de façon discrétionnaire.» C’est aussi de façon discrétionnaire, tout naturellement, que notre Crésus national a alimenté les comptes de son fils à Monaco.
Combien de milliards de francs Cfa notre vieux prédateur a-t-il brassés, dans le cadre de ses fonds dits politiques ? Le temps n’est-il vraiment pas venu de s’arrêter un peu sur ces fameux fonds ? Comment ont-ils été alimentés et utilisés, pendant douze longues années, par notre vieux président?
Nous sommes plus familiers avec le concept de « Fonds politiques ». Il s’agit, en réalité de « Fonds spéciaux » qui comprennent : les fonds politiques, les fonds secrets et le fonds d’aide à l’unité africaine. Nous entendons aussi souvent dire que les Fonds spéciaux sont laissés à la discrétion du Président de la République et qu’il en dispose comme bon lui semble. Nous avons besoin, avant de revenir sur cette « prérogative discrétionnaire », d’être édifiés sur le montant de ces fonds. Chaque année, à l’occasion du vote du Budget, une autorisation de l’Assemblée nationale alloue au Président de la République une somme qui se situait, jusqu’au 19 mars 2000, autour de 640-650 millions de francs Cfa. Cette autorisation est annuelle, il convient de le signaler avec force. Avec notre vieux prédateur, le montant a crevé tous les plafonds et a atteint 8 milliards de francs Cfa au moment où il quittait le pouvoir. En l’espace de douze années donc, il l’a multiplié par plus de dix. Pour important que fût ce montant d’ailleurs, il ne suffisait pas à assouvir son immense appétit financier. Ces 8 milliards, qui sont laissés à la discrétion du Président de la République, n’ont vraiment rien à voir avec ceux sur la gestion desquels l’ancien Premier Ministre Idrissa Seck a été interrogé le 11 novembre et le 23 décembre 2005 par la Commission d’Instruction de la Haute Cour de Justice.
On se souvient que M. Seck était traduit devant la Haute Cour de Justice, suite à une résolution de mise en accusation votée promptement par l’Assemblée nationale. A l’occasion donc, M. Seck, à qui la gestion des fonds était confiée, nous édifie en faisant des révélations fracassantes. Ces révélations, terrifiantes pour la République, la Démocratie et la Bonne Gouvernance, étaient largement relayées par les quotidiens de la place, notamment par Le Quotidien du 17 janvier 2006 (page 5) et Walfadjri du 20 janvier de la même année (page 3). Je rappelle que, concernant les Fonds spéciaux, l’autorisation annuelle de l’Assemblée nationale était, au lendemain du 19 mars 2000, de l’ordre de 650 millions de francs Cfa. Or, dans ce cadre, plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de milliards ont été gérés à travers des comptes ouverts notamment à la Cbao, à la Sgbs et en France. Ces terribles révélations de l’ancien Premier ministre concernant ces fameux mouvements ont été chaque fois confirmées par les autorités des deux banques. C’est du moins ce qu’affirmaient formellement les deux quotidiens et bien d’autres encore, dans les mêmes termes, sans avoir jamais été démentis.
D’autres rappels qui ont vraiment un sens par les temps qui courent : Le 23 décembre 2005, Idrissa Seck révèle devant la Commission d’Instruction qu’un certain Victor Kantoussan a touché, « en l’espace d’une semaine, cinq chèques d’un milliard chacun ». Interrogé par la Commission, ce M. Kantoussan répond tout naturellement : « Je suis un coursier et j’agis sur instruction de mon patron ». Son patron était fort justement l’omniprésent Karim Wade, dont il était le garde de corps. Le directeur général de la Cbao interrogé reconnaîtra également avoir consenti à la présidence de la République un prêt de 2 milliards, pour acheter des véhicules Peugeot 607, destinés à renouveler le Parc de la présidence (ce parc devait être vraiment fourni !). Le prêt sera soldé six mois après grâce à des fonds koweitiens. En effet, interrogé le 11 novembre 2005 par la Commission d’Instruction, l’ancien Premier Ministre Idrissa Seck révèle qu’un chèque d’un milliard 200 millions d’euros offerts par le Koweït au Sénégal, « avait été directement remis au Président de la République qui l’aurait fondu dans ses fonds politiques », exactement dans les comptes hébergés par la Cbao.
La même banque consentira deux prêts d’un milliard chacun à un certain Ibrahima Abdoul Khalil dit Bibo (le déjà gros morceau), avec une caution et une garantie de Karim Wade (toujours lui) et de Papa Diop, alors président de l’Assemblée nationale. Les deux prêts seront, eux aussi, remboursés les 26 et 29 juin 2001 par des fonds en provenance de l’étranger (encore !). De nombreux autres prêts complaisants contractés à titre personnel par des « personnalités » du régime libéral et des particuliers seront épongés dans le cadre des comptes de la Cbao et de la Sgbs, qui abritaient les Fonds spéciaux du président de la République. C’est avec ces milliards, plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines – qui sait ? –, qui n’ont vraiment rien de commun avec les Fonds spéciaux réguliers, que Wade et son clan alimentaient leur indécente générosité. C’est avec ces mêmes milliards empoisonnés qu’ils arrosaient abondamment officiers généraux et supérieurs, hauts magistrats, ministres, proches collaborateurs, chefs religieux qui n’étaient pas le moins du monde gênés par ces milliards dont ils ne savaient rien de l’origine.
Le vieux prédateur reconnaît aujourd’hui avoir versé des chèques dans ses comptes et dans ceux de son fils. Des chèques, tout le monde le sait, libellés au nom de l’Etat du Sénégal et détournés, partant, de leur place naturelle : le Trésor public.
Je ne suis pas, loin s’en faut, un spécialiste des Finances publiques ni, par ailleurs, un juriste. Cependant, mon sentiment est que les différents comptes du vieux prédateur devraient être audités. On me rétorquera encore facilement que ce n’est pas possible, que ces Fonds spécifiques sont hors de tout contrôle, puisque laissés à la discrétion du bénéficiaire. Je n’ai pas cette compréhension facile des choses. Les fonds qui ne seraient soumis à aucun contrôle – et encore – sont ceux régulièrement autorisés par l’Assemblée nationale. Quant aux autres, les centaines, voire les milliers de milliards qui ont transité par ses nombreux comptes et qui proviendraient de chèques libellés au nom de l’Etat du Sénégal, ils devraient faire l’objet d’un audit profond. Nos autorités nous doivent de nous éclairer sur ces milliards derrière lesquels s’abritent confortablement nos nouveaux riches pour expliquer leurs fortunes. Je les interpelle aussi, elles, la classe politique, la société civile, quant à la nécessité de poser sur la place publique la question des Fonds spécifiques, de leur montant annuel et de leur utilisation.
Huit milliards (8) de francs Cfa de fonds annuels, c’est exorbitant pour le petit Sénégal qui traîne encore lourdement les pieds parmi les pays les plus pauvres et les plus endettés de la Planète. A ce rythme, le Président Macky Sall flambera 40 milliards à la fin de son mandat, en 2017. Quarante milliards, soit 40000 millions de francs Cfa dont personne, lui-même et ses proches exceptés, ne saura jamais comment ils auront été dépensés. Pendant qu’il est question de réformes profondes de nos institutions, que la transparence gouvernementale est sur toutes les lèvres, il convient d’envisager sérieusement la baisse notable des Fonds spécifiques et l’encadrement serré de leur utilisation. Ils sont quand même constitués de l’argent du contribuable et ont notamment pour vocation à faciliter au Président de la République l’exercice de son importante fonction. En particulier, ils ne devraient, sous aucun prétexte, servir à financer des activités partisanes et des fondations intéressées, entretenir une clientèle politique et religieuse, etc. Leur montant actuel est surtout incompatible avec la politique sobre qui nous a été promise avant le 25 mars 2012.
Mody Niang
Président comité Ethique du Think Tank Ipode