La Politique économique du Sénégal est définie à partir de notre ancrage dans la Zone Euro, qui perpétue la Zone Franc, comme en atteste une Etude de la DPEE intitulée : « Différentiel d’inflation dans une Union Monétaire : le cas de l’UEMOA » publiée en Août 2010.
Selon la DPEE : « l’ancrage à la zone Euro qui a un taux d’inflation bas et un niveau de développement plus élevé, n’est pas de nature à stimuler la croissance économique de l’UEMOA » ?
Elle fonde ce constat sur ce qui suit : « En réalité, l’écart entre la zone Euro et les pays de l’UEMOA est tellement important, qu’il est impossible qu’un processus concurrentiel se crée entre les deux systèmes productifs. Le schéma actuel veut que l’UE vende aux pays de l’UEMOA des biens à contenu de travail qualifié, tandis que ceux-ci lui fournissent des biens primaires ou de première transformation ».
Cette situation risque d’empirer pour nos Etats, si l’UE parvient à nous imposer la signature des APE.
Et le FMI lui-même de noter, dans son rapport de Juin 2010 sur l’ « Evaluation du Programme ‘’Instrument de Soutien à la Politique Economique ‘’ (ISPE) », que « depuis 2004, le Sénégal connaît un ralentissement plus marqué de la croissance dans l’Union Economique et Monétaire Ouest Africain (UEMOA), et un déficit budgétaire plus prononcé, malgré des ressources publiques sur PIB plus élevées » !
Ce n’est donc pas nos maigres performances dans la croissance économique, qui expliquent le haut niveau relatif de nos recettes publiques, de même que la cause de notre plus grand déficit budgétaire au sein de l’UEMOA n’est pas due à une faiblesse relative des recettes publiques au sein de cette Union.
En fait, il est aujourd’hui établi, que nos maigres performances en termes de croissance économique sont consécutives à notre appartenance à la Zone Euro, à la mauvaise gestion des finances publiques qui engendre de lourds déficits, au poids exorbitant de la fiscalité sur les coûts de production et la consommation des ménages.
Notre handicap dans la zone Euro vient d’être illustré par un rapport de la Banque mondiale cité par le Directeur du Laboratoire de Recherches Economiques et Monétaires (LAREM) qui établit, que le taux de croissance moyen de l’Afrique Francophone de 2000 à 2009 est de 3,2% contre 6,2% pour les pays d’Afrique anglophone moins l’Afrique du SUD, tandis que le PIB moyen est de 9% de celui de l’Afrique Subsaharienne, contre 47% pour les pays anglophones moins l’Afrique du SUD !
Ce handicap que nous partageons avec les pays de la zone franc est aggravé par notre taux élevé de pression fiscale (19% contre un plafond de 17% qui repose, surtout, sur la fiscalité intérieure (Taxes et TVA) qui constituent, en moyenne 63% des recettes fiscales totales en 2008 et 2009, alors que la norme UEMOA est fixée à 55 % !.
Ainsi, le renchérissement du coût de la vie et de la production intérieure, par cette politique de recettes fiscales, met le peuple sénégalais en contradiction avec l’Etat, alors qu’en Europe, ce sont les politiques de réduction des dépenses publiques pour résoudre leur grave crise de déficit budgétaire, qui mettent leurs Etats en contradiction avec leurs peuples.
En effet, le déficit budgétaire est passé de 163 milliards en 2007, pour en 2008, s’établir à 273,6 milliards, et à 286,1milliards en 2009, en pleine crise de « Dépenses extra budgétaires ». La deuxième Loi De Finances Rectificatives, pour l’année 2010, que le Parlement vient d’adopter, a projeté ce déficit à 306 milliards pour 2010, mais en fin novembre, il a déjà atteint 320 milliards !
Ces déficits budgétaires sont engendrés par une option de Dépenses publiques volontariste, qui, selon les conclusions de l’Etude de l’ANSD sur les « Déterminants de l’investissement au Sénégal » (Août 2008) peuvent « entraîner des effets cumulatifs importants qui ne reflètent plus que le résultat de l’auto développement de la Bureaucratie ».
Ainsi, paradoxalement, cette politique volontariste de Dépenses publiques grâce au niveau relativement élevé des recettes fiscales, et qui s’accompagne de lourds déficits budgétaires, n’a pas entraîné la croissance économique, comme une politique économique keynésienne l’aurait produit, mais a engendré un processus d’auto développement de la Bureaucratie !
C’est ainsi que, par la gestion du Budget, des marchés publics, la privatisation des Entreprises publiques, la dilapidation de celles non encore privatisées, et la spéculation foncière et immobilière, Wade s’est construit sa « nouvelle classe sociale », qu’il a substituée à la « Bourgeoisie Bureaucratique » sociale démocrate qui a dirigé le pays 40 ans durant.
Cette politique économique a amorcé le développement du Capitalisme dans le monde rural sénégalais avec son lot de prolétarisation et de paupérisation qui, désormais, caractérise nos campagnes.
En effet, les prolétaires ruraux constitués « d’ouvriers et d’employés sans qualification », et les masses paupérisées « vivant en dessous du seuil de pauvreté », ont été bien identifiés à partir de documents officiels de l’Etat Sénégalais.
C’est ainsi que la catégorie sociale d’ « ouvriers et d’employés sans qualification » est passée de 9,7% de la population rurale en 1994-95 selon « l’Enquête Sénégalaise Auprès des Ménages » (ESAM I), à 11,8% en 2005-06 selon ESAM II.
Pour les ménages ruraux, en 2005-06, les « ouvriers et employés non qualifiées » constituaient 13,3% de l’effectif.
Par rapport à la terre, en 1998-99, les ménages avec moins d’un hectare dans les zones de cultures pluviales étaient de 19,8%, selon le « Recensement Général de la Population et de l’Habitat », et en 2005-06, ils ont atteint 24, 6%, selon « l’Enquête de Suivi de la Pauvreté au Sénégal » (ESPS I).
Pour ce qui est de l’équipement rural, selon ce même Recensement en 1994-95, les chefs de ménage sans aucun équipement à traction animale étaient de 35,2%, tandis que ceux dépourvus de tout animal de trait étaient de 33,1% !
La paupérisation du monde rural en plus de cette prolétarisation s’est traduite par un taux de pauvreté la population de 33% en 1991-92, selon « l’Enquête Sur les Priorités » (l’ESP) de la même année, pour atteindre 57,1% en 2005-06, et dans les ménages ruraux, le taux de pauvreté est passé de 57,5% en 2001-02 à 57,3% en 2011, selon ESPS I et ESPS II respectivement !
Mais la politique économique du Sénégal a fait que le développement de ce Capitalisme autochtone en milieu rural est handicapé par la persistance, voire même l’aggravation de son déficit du Compte courant qui maintient notre pays sous la dépendance économique.
C’est ainsi que selon l’Etude de l’Agence Nationale des Statistiques et de la Démographie, sur les « Déterminants du déficit structurel Solde du Compte Courant du Sénégal », il a été décelé que « la tendance générale du niveau solde du compte courant hors transferts officiels du Sénégal au regard du seuil fixé par l’UEMOA pour ce solde, est le dérapage ».
En effet, elle précise que « les déficits importants et structurels du Compte Courant du Sénégal s’expliquent par l’élargissement du différentiel commercial entre le Sénégal et le reste du monde (taux d’importation trop élevé), une appréciation du
Franc CFA par rapport au Dollar (compétitivité change) et enfin un dynamisme de
l’invéstissement par rapport à la faiblesse de l’épargne ».
Ce qui est encore une illustration des conséquences néfastes de notre politique fiscale, dont les recettes dépendent du poids de nos importations dans l’Economie nationale grâce à la fiscalité intérieure (Taxes intérieures et TVA), et extérieure (TVA à l’import) et, accessoirement, aux Droits de Douanes, de même que notre appartenance à la Zone Euro sur la compétitivité de nos exportations.
Ainsi, la Politique Economique du Sénégal est de nature à générer une tendance lourde au déficit budgétaire et du Compte Courant.
C’est la gestion de ces déficits budgétaire et du Compte Courant, qui nous met sous la coupe des Institutions de Bretton Woods pour leur financement, à travers une politique d’endettement et d ‘attraction de l’Investissement Direct Etranger, sous leur supervision.
De cette manière, la Politique économique du Sénégal s’inscrit dans un modèle de développement inspiré par les Institutions de Bretton Woods, qui s’articule autour de la promotion des exportations, la privatisation en faveur des grandes Entreprises étrangères (Partenaire stratégique), et de l’Agrobusiness, et d’un « climat des affaires » attractif, pour créer les conditions d’une bonne attraction de l’IDE.
C’est le modèle « Tunisien » que les Institutions de Bretton Woods et l’Union Européenne donnaient en exemple aux pays sous Ajustement structurel comme le Sénégal, et que le peuple de Tunisie vient, par la « rue », de jeter dans la poubelle de l’histoire.
Le peuple Sénégalais, en se débarrassant du régime « socialiste » en 2000, et de celui « libéral » de Wade en 2012, n’exprimait il pas, par les « urnes », son rejet de ce même modèle que les Programmes d’ajustement structurel imposaient à nos Etats ?
Cette analyse de la Politique Economique de l’Etat du Sénégal a été faite par Ibrahima Séne à la Fondation Rosa Luxembourg au mois de Décembre 2013.