La fonction économique et sociale de l’Enseignement supérieur au Sénégal s’est fortement dégradée de nos jours. En effet, cette situation est largement illustrée par les récentes données sur la « situation économique et sociale de Dakar pour l’année 2006 », publiées en Janvier 2008 par l’Agence Nationale des Statistiques et de la Démographie (ANSD).
C’est ainsi que l’on y découvre, que le taux de chômage à Dakar est d’autant plus élevé que l’on est instruit !
Il est de 13,5% chez les analphabètes, de 18 % chez ceux qui ont terminé le cycle secondaire, et de 23,5 % pour ceux qui ont atteint le niveau universitaire.
En outre, dans sa composante universitaire à Dakar, l’enseignement supérieur est traversé par une crise récurrente sous forme de grèves d’étudiants, et de professeurs, qui chaque année, menace le calendrier scolaire d’invalidité, et occasionne de troubles graves à l’ordre public.
De creuset de formation des ressources humaines de qualité qui se sont illustrées dans le monde entier, l’Université de Dakar est devenue, aujourd’hui, un réservoir d’explosion sociale en effervescence continue.
Comment en est on arrivé là ?
Il y a d’abord l’explosion des effectifs à l’Université de Dakar.
De 37782 étudiants en 2003-2004, pour une capacité de
20 000, les effectifs ont atteint en 2006-2007 le chiffre faramineux de 55864 !
Il y a ensuite, une grave dégradation du taux d’encadrement pédagogique.
En effet, de 40 étudiants pour un enseignant en 2003- 2004, ce taux a atteint 52 étudiants pour un enseignant en 2006- 2007 !
Ainsi donc, le manque de perspectives d’emplois pour les diplômés d’Enseignement supérieur, la surpopulation universitaire, et la baisse du taux d’encadrement pédagogique sont aujourd’hui la caractéristique essentielle de l’Université de Dakar.
Quelles sont les causes fondamentales de cette descente aux enfers ?
Selon le rapport d’évaluation de « l’initiative Fast Track » présenté en Février 2006 par le Consultant international en Education, François Robert, au plan des ressources fiscales, l’Etat a collecté 19,9 % du PIB, contre des prévisions allant de 14 % à 18 %.
Donc, l’insuffisance des moyens financiers à la disposition de l’Etat ne peut pas justifier le non respect des engagements financiers de l’Etat vis-à-vis des syndicats du Corps enseignant, des Etudiants ou du Personnel technique et administratif des Universités.
De même, au plan de la répartition sectorielle de ces ressources fiscales, l’Education nationale qui a reçu 22,05 %, contre des prévisions de 20 % retenues en accord avec les bailleurs de fonds, ne peut pas alléguer de manque de moyens financiers pour faire face aux revendications à incidence financière qui la paralyse.
Donc, le manque de moyens financiers dans le budget de l’Etat ou de l’Education nationale, n’est pas un argument que l’on pourrait brandir pour expliquer la situation actuelle de l’Ecole et des Universités publiques.
Même la répartition intra sectorielle du budget de l’Education nationale ne peut être incriminée pour ce qui est de l’Enseignement supérieur.
En effet, malgré l’engagement de l’Etat, dans le Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP II), de privilégier le financement du cycle primaire en lui allouant
50 % du budget de fonctionnement de l’Education nationale, au détriment du supérieur, c’est seulement 44 % que le primaire a reçu, contre 41,4 % en 1992 !
L’Enseignement supérieur n’a donc pas été sacrifié dans le financement de l’Ecole en faveur de l’option de la généralisation de l’Enseignement élémentaire, contrairement aux objectifs des Bailleurs de fonds.
Ce qui est donc en cause dans la crise universitaire, c’est bel et bien l’option stratégique de réduction des coûts unitaires de l’Enseignement supérieur, et la gestion gabégique de ses ressources budgétaires. (Les Audits des Universités de Dakar et de St Louis viennent de donner un aperçu sans équivoque de l’ampleur de cette gabégie).
En effet, l’option de réduction des coûts unitaires est matérialisée dans le cadre du « Programme Décennal de l’Education et de la Formation (PDEF II), où il est prévu, de multiplier les effectifs d’étudiants par 2, 27, de 2005 à 2010, et de diviser les coûts des dépenses courantes par 1,27 durant la période. Ce qui a été fatal à l’Université dans la période qui était caractérisée par une forte inflation, notamment à partir de 2006.
Ainsi, même en multipliant ainsi les effectifs tout en maintenant les coûts des dépenses courantes, on réduit les coûts unitaires, mais cette réduction devient une catastrophe, si elle est accompagnée d’une division de 1,27 !
Donc le sureffectif et la dégradation des conditions de vie et d’étude à l’Université de Dakar est une option politique délibérée, et non une résultante de manque de moyens de l’Etat.
Cette volonté politique vise en fait à créer les conditions propices à la privatisation de grande envergure de l’Enseignement supérieur.
De cette manière, les enfants des plus nantis devront aller dans le privé local ou à l’étranger.
C’est dans ce cadre que s’est développée la délocalisation des enseignements privés de grandes Universités Américaines, Françaises et même Canadiennes à Dakar, pour mieux capter cette clientèle émergente.
Les enfants des couches moyennes et pauvres vont être parqués dans l’Université, transformée en « garderie d’enfants adultes », livrés à toutes sortes de déviances sociales et ou de fanatisme religieux.
Le refus de cet état de fait de la part de certains étudiants qui sont conscients que c’est leur avenir qui est ici en jeu, alimente, chaque année, une interruption périodique des enseignements par des grèves, qui sont souvent sources de violences et même de meurtre.
Le climat de tension permanente qui en résulte, et les interruptions fréquentes des enseignements engendrent des échecs massifs et des redoublements qui contribuent à créer une sur population des effectifs, et une dégradation continue des conditions de vie et d’étude.
Les enfants des couches moyennes et des couches pauvres sont ainsi pris dans le piège de la politique délibérée de discrédit de l’Ecole publique par le pouvoir, et de dévalorisation des diplômes obtenus au terme de lourds sacrifices de ces enfants.
C’est cette situation qui a fini par alimenter le chômage des diplômés de l’Université dans des proportions telles, qu’ à la longue, elle risque de détourner les enfants des pauvres et des couches moyennes de l’Ecole, étant entendu que l’Ecole privée devient de plus en plus hors de leurs portée.
Dans ce contexte, le cynisme des pouvoirs publics et des bailleurs de fonds a atteint son comble, lorsqu’ils proclament en cœur, leur volonté politique de la scolarisation universelle, au même moment où les politiques mises en ouvre dans l’Education nationale enlève:
– aux couches pauvres et moyennes, toute motivation à envoyer leurs enfants à l’Ecole publique, et à les y maintenir, et
– aux élèves, toute motivation à étudier et à réussir, puisque leur accès à l ‘Enseignement supérieur ne leur fait plus rêver à une promotion sociale.
Il n’est donc pas possible de sortir de la crise de l’Université de Dakar et de l’Ecole publique en général, sans remettre totalement en cause l’option stratégique de réduction des coûts unitaires de l’Enseignement supérieur.
A la place, il faudrait une option d’ajustement des coûts unitaires à la hausse, en fonction de l’inflation, et la mise en œuvre d’une gestion transparente des ressources financières et humaines, dans le cadre de l’application des accords sur la « gestion démocratique du personnel de l’Education », arrachés de haute lutte par les syndicats d’Enseignants.
Pour ce faire, il urge d’organiser un vaste mouvement rassemblement de la Communauté universitaire, pour regrouper les Syndicats d’Enseignement supérieur, les Amicales d’étudiants de Facultés, et les syndicats du Personnel Administratif, Technique du Supérieur (PATS), pour arracher de l’Etat cette option alternative de financement et de gestion démocratique de l’Enseignement supérieur.
Les luttes sectorielles, à ce niveau, ont atteint leurs limites et ne peuvent qu’entretenir un climat de tension sociale et de déstabilisation de l’institution universitaire, qui est peu propice aux enseignements et aux apprentissages.
Ces luttes sectorielles vont donc tout droit dans le sens de détérioration des conditions de travail du personnel enseignant et non enseignant, et des conditions d’études et de vie des étudiants ; ce qui est l’objectif visé par l’option de « réduction des coûts unitaires ».
Il devrait être évident pour tous, que l’éradication de l’analphabétisme, la lutte contre les abandons scolaires et la violence dans l’espace scolaire et universitaire, ne peuvent prospérer, que si l’Ecole publique, dans ses paliers élémentaire, secondaire et supérieur, redevient un véritable « ascenseur social ».
Il est regrettable que l’Ecole publique ait pu jouer ce rôle même sous le colonialisme, pour ne plus le jouer plus de 40 ans après nos Indépendances.
Dakar le 4 Mai 2008
Ibrahima Sène PIT/SENEGAL
Post script : Le nombre de Bacheliers tourne autour de 40. 000 actuellement, et les 5 universités publiques n’arrivent pas à les accueillir tous, au point que l’Etat ait décidé de recourir au privé pour y orienter l’excédent, aux frais des finances publiques. Cette situation serait budgétairement insupportable dans le moyen terme, au vu des prévisions qui portent le nombre de bacheliers à 50.802 à l’horizon 2015.
L’on aurait cru donc que le Sénégal vit une crise d’excès de Bacheliers alors que leur nombre rapporté à leur classe d’âge représente moins de 5 % !.
De » même, la dégradation des conditions d’Etudes dans le secondaire fait que seuls 15,5 % des candidats décrochent le bac au premier tour. Mais, une fois à l’université avec sa crise, seuls 10,3 % d’entre eux obtiennent la maîtrise au bout de 4 ans » ! Et la proportion des titulaires de maîtrise par promotion de bacheliers n’atteindra 43,4 % qu’au bout d’un séjour de 9 ans à l’université !