Il y a plein de gens que j’aime bien qui affirment que l’opération française au Mali est motivée par les plus bas intérêts économiques. Ce serait parce que le Mali disposerait d’immenses réserves minières que la France y mène une guerre impérialiste destinée à mettre en place un régime néo-colonial à la botte de Paris.
Pour qui connaît l’histoire des relations franco-africaines, prêter des intentions malveillantes et cupides à la France n’est pas si irrationnel que ça. La France s’est arrangée pour maintenir son emprise sur les pays africains et piller leurs ressources bien au delà de nos théoriques indépendance. Ceci dit, il y a une contradiction fondamentale dans la théorie d’une France malveillante intervenant au Mali pour accaparer des minerais. Une France omnisciente, omnipotente et omnicupide aurait-elle en premier lieu laissé le Mali tomber dans l’escarcelle des islamistes ? Si vraiment la France était aussi cupide qu’on le dit et si le Mali était riche, pourquoi la France aurait-elle attendu une invasion islamiste avant d’exploiter les richesses maliennes ? La vérité est que le Mali est pays extrêmement pauvre. Ce n’est pas un de ces pays comme la Guinée ou le Gabon regorgeant de richesses, captées par une élite, mais dont la population croupit dans la misère la plus noire. Non, le Mali est vraiment pauvre.
D’abord le Mali se situe dans la partie nord du Sahel, ce qui signifie qu’une grande partie de son territoire est semi-désertique. Ensuite, le pays n’a quasiment pas d’industries et l’agriculture occupe 70% de la population ce qui n’est jamais bon signe. Si la productivité agricole avait été bonne, elle n’aurait pas employée autant de mains et enfin le Mali est enclavé étant dénué de façade maritime. Pour avoir une idée de la pauvreté du pays, il faut savoir que l’argent envoyé par les émigrés maliens est l’une des principales sources de richesse du pays. Oui, je parle de l’ouvrier ou du balayeur que vous croisez en France ! Certes, le Mali extrait de l’or et est même le troisième producteur d’or d’Afrique mais d’une part elle n’en produit que 63 tonnes par an et d’autre part ses réserves seront épuisées en 2014. Et comme souvent en Afrique, cet or est exploité dans des conditions désastreuses et bénéficie très peu à l’État mais beaucoup à des compagnies étrangères[1]. Il y a également de l’uranium à Faléa mais si vous jetez un coup d’œil à la carte ci-après, vous vous rendez aisément compte que cette zone est bien éloignée de la zone de conflit.
Et puis de toute manière, la France a déjà fait main basse sur l’uranium nigérien et peut laisser filer quelques miettes maliennes. Non, franchement, le Mali est vraiment très pauvre. À tous points de vue. S’il avait été riche, la France aurait beaucoup moins tardé à intervenir.
Une chose que ceux qui s’empressent d’accuser la France se refusent à envisager, c’est la médiocrité de l’élite malienne. Encore une fois, des gens qui se veulent bienveillants envers l’Afrique agissent comme si les africains étaient des pantins désarticulés mus de l’extérieur et n’ayant aucune responsabilité dans ce qui leur arrive. Cette bienveillance paternaliste ne me paraît pas moins insultante que le discours de Sarkozy je dois dire.
Si nous nous intéressons un moment à l’élite malienne, ce qui frappe, c’est une profonde médiocrité intellectuelle et politique de gens occupant des fonctions extrêmement importantes en temps de crise. Prenons l’ancien PrésidentAmadou Toumani Touré. Il avait juste décidé d’abandonner de facto une partie de son territoire national (Le Nord Mali) à qui en voulait à condition que les Touaregs se calment. Du coup, Touaregs et islamistes se sont alliés pour enlever les touristes occidentaux en ballade dans la sous région et les garder en otage au Mali le temps de négocier des rançons conséquentes auprès des gouvernements français, italiens ou espagnols. Longtemps, ce stratagème a semblé satisfaire tout le monde : les Touaregs, trop occupés à s’enrichir en trafiquant des blancs avaient oublié leurs revendications territoriales de fiers hommes du désert. L’Algérie était assez contente qu’Aqmi ne l’emmerde plus tant que ça. Bamako n’avait plus à gérer de revendications d’indépendance ni à corrompre des leaders Touaregs qui avaient trouvé là un bien plus lucratif business. Seuls le Niger et la Mauritanie protestaient mais on s’en fichait un peu. Ce statut quo était de toute manière fragile et ce n’était qu’une question de temps avant que les Touaregs ne se souviennent qu’ils n’avaient aucune raison d’être « les seuls blancs au monde à être dirigé par des noirs »[2] . La recherche d’un territoire leur appartenant étant d’autant plus pressante que la mort de Kadhafi les avait laissé 1) dépourvu de parrainage étatique 2) doté d’armes grâce au pillage de l’arsenal libyen et 3) libres de s’allier effectivement avec les islamistes, ce que leur interdisait plus ou moins leur souverain libyen. Le Niger et la Mauritanie étant solides, ils choisirent de s’allier aux islamistes pour s’attaquer au Mali et en occuper tout ou partie. On peut aisément pardonner à des Touaregs d’avoir fait entrer le diable islamiste dans les luttes maliennes… Ou on peut y voir une illustration du fait que l’élite touarègue est aussi stupide que le reste de l’élite malienne et avait cru qu’elle pourrait contracter avec des fous de Dieu !
D’une certaine façon, l’exaspération qui a poussée l’armée malienne à prendre le pouvoir pouvait se comprendre. Les soldats se faisaient tuer au Nord dans l’indifférence générale de l’élite dévoyée de Bamako. En plus ils ne recevaient pas régulièrement leur solde et les veuves de soldat n’étaient pas pris en charge correctement par le gouvernement. Le problème, c’est que la révolte des militaires a été menée par un élément aussi médiocre que l’élite politique en question et tout ce qu’ils ont réussi, c’est favoriser la partition de leur propre pays en prenant le pouvoir sans y être préparé face à des rebelles surarmés. Ils ont pris un pouvoir dont ils ne savaient que faire, se sont fait très vite mettre la pâtée au Nord puis sont revenus à Bamako se conduire en enfants gâtés tyrannisant les politiciens. On se serait attendu à ce qu’une fois le Mali attaqué il y ait une union sacrée pour reconquérir le pays. L’élite malienne, non seulement a été incapable de faire preuve d’un minimum de patriotisme, mais en plus a continué ses médiocres combines dans les salons de Bamako. Prenons l’une des personnes les plus célèbres du Mali :Aminata Dramane Traoré. Elle aurait pu émerger comme un recours. Elle s’est contentée de plaquer sur la situation malienne un discours altermondialiste totalement hors contexte. Elle aurait pu rappeler ce fait simple que le Mali étant une démocratie, quels que soient les errements du président élu, l’armée n’avait aucun droit de prendre le pouvoir. Au lieu de ça, avec son groupe de pseudo intellectuels, elle a soutenu la junte dans un raisonnement surréaliste dont il ressortait que la mondialisation et l’ultralibéralisme étaient coupables. Au lieu de se focaliser sur la libération du Nord de leur pays, les politiciens maliens se sont perdus en intrigues de palais incompréhensibles et ont passé leur temps à accuser tout le monde (La France, la CEDEAO, l’Algérie) d’ingérence.
Le problème c’est que l’ingérence a justement trop tardée : le Mali est frontalier de trop de pays (9 si je compte bien) pour qu’on laisse le chaos s’y installer. Si la France n’en a rien à faire du Nord Mali et du Mali généralement, ni la France, ni les pays d’Afrique de l’ouest comme le Sénégal, le Niger, la Côte d’Ivoire etc… ne peuvent se permettre de laisser ce pays plonger dans le chaos. En tant que sénégalais, ça fait des mois que j’agonise en me demandant ce que nous attendions pour sonner la mobilisation. La vraie humiliation devrait être non pas l’intervention française mais le fait que nous ayons été incapables, un an durant de nous mettre d’accord sur un plan d’intervention et au moins de l’organiser à défaut de la financer et le mettre en œuvre. Encore une fois, nous nous sommes montrés incapables de nous prendre en main et nos pseudo intellectuels, se permettent de geindre et de crier à la néo-colonie quand une puissance occidentale défend son intérêt bien compris ; nous rendant au passage un énorme service. Bien sûr que la France est au Mali pour défendre ses intérêts mais cet intérêt n’est pas d’hypothétiques ressources minières, c’est la stabilité de toute l’Afrique de l’Ouest. La France a des investissements au Niger, au Sénégal, en Cote d’Ivoire… un Mali sous l’emprise des islamistes les menacerait. Sans parler du fait que si le Mali se transforme en Afghanistan, il est probable que des attentats auront facilement lieu en Europe via les filières d’immigration clandestines déjà existantes.
Maintenant que la France a décidé de prendre en main la situation, se posent deux questions : d’abord celle du l’unité du Mali et ensuite celle d’un éventuel enlisement français.
Pierre Haski a posé hier le premier problème et semble proposer une autonomie des Touaregs. Il ne serait pas surprenant que les français essaient de mettre en œuvre une solution semblable. Disons les choses comme elles sont, je crois que la seule raison pour laquelle les français en particulier et les occidentaux en général ont autant de sympathie pour les touaregs est ce que j’appellerait la « solidarité blanche » pour ne pas parler de racisme conscient ou inconscient (Oups, je l’ai fait ) Les sociétés touarègues sont des sociétés esclavagistes et ce qui énerve par dessus tout ces nomades, c’est d’être dirigé par des noirs. Ils trouvent que ce n’est vraiment pas dans l’ordre naturel des choses. Une indication de ce fait est que les touaregs algériens ou marocains ne pensent même pas à se révolter. Bizarrement les gens comme Pierre Haski ne semblent jamais voir cette dimension suprématiste de la lutte Touarègue. Tout ce qui les intéresse, c’est le fait que ces derniers sont des nomades dirigés par des sédentaires. C’est idiot : les peuls sont des nomades mais noirs. Ça ne choque personne au Sénégal ou ailleurs qu’ils soient dirigés par des sédentaires. De plus, si on procède à une partition, on fait quoi des Songhaïs noirs et sédentaires qui peuplent depuis des siècles et des siècles le Nord Mali et y sont d’ailleurs majoritaires ?
La seconde question est la crainte exprimée sur twitter par David Monniaux que la France ne s’enlise. J’avoue que je ne crois pas trop à un enlisement français au Mali. Je pense que les islamistes vont soit repartir en Algérie, soit se faire massacrer jusqu’au dernier. Ceci dit, je ne suis pas un spécialiste des guerres et mes prévisions de non enlisement n’ont aucune valeur. Ce que je crains un peu plus par contre, c’est qu’une fois les islamistes repartis, il y ait une revanche des populations locales qui s’en prendrait à tout ce qui ressemble à un touareg. Le MNLA essaie de se racheter en proposant son aide à l’armée française. Je ne sais ce qui va être décidé mais des massacres de Touaregs dans les mois qui viennent ne m’étonneraient pas du tout.
Le vrai problème que je vois dans toute cette histoire est celui de l’élite malienne. Tant que les mêmes idiots règneront sur Bamako, je ne vois pas comment le Mali pourrait se stabiliser. C’est dans ce genre de moment qu’un cynique comme moi regrette un certain Jacques Foccart !
[1] Non, ne vous écriez pas « Ah ha France ! », c’est plutôt AngloGold Ashanti les méchants dans l’histoire.
[2] Ce racisme (conscient chez les premiers, inconscient chez les seconds) est un élément essentiel de la révolte Touarègue au Sahel et du soutien romantique des occidentaux pour ce peuple à mon avis.
Hady BA Docteur en sciences cognitives à l’Institut Jean Nicod
http://hadyba.wordpress.com/ twitter : @hady_ba
Think Tank Innovations Politiques et Démocratiques
1 comment
La vérité, rien que la vérité. Je partage cette vision de la question. Cependant si je peux avoir une version moins sciant je suis preneur. Ouille !!! Merci pour cette clarté d’analyse. Dieu accroisse votre lumière.